RENCONTRES FERROVIAIRES

CHAPITRE 1- RENCONTRE PREDESTINEE

Cette rencontre a eu lieu il y maintenant quelques années. J’exerçais encore mon métier d’informaticien qui m’amenait à voyager dans toute la France ou presque. Je devais, le jour où cette histoire a débuté, prendre un TGV partant de Paris pour aller à Lyon ou j’avais plusieurs clients à visiter et dépanner. D’habitude j’y allais en voiture mais je voulais voir comment éviter la fatigue de la conduite en y allant en train quitte à avoir des frais de taxis. J’ai trouvé mon compartiment sans difficulté et je me suis installé, d’abord seul puis peu à peu entouré de jeunes gens turbulents mais bon, il fallait faire avec. Je dois préciser que les téléphones portables venaient de faire leur apparition : épidémie à laquelle j’avais échappé jusque là : un téléphone permettant à mes clients de m’appeler à tout moment relevait de l’instrument de torture le plus sophistiqué, pour moi en tout cas.
Le wagon s’et rapidement rempli et dans la travée de quatre fauteuils mes compagnons furent dans l’ordre de la fenêtre vers le couloir : moi, une jeune fille, un jeune homme et une dame un peu plus jeune que moi mais guère moins. Le train n’avait pas encore quitté la gare que les deux jeunes ont sorti leur téléphone et commencé à discuter, d’abord à voix basse puis de plus en plus fort. J’avais sorti de mon sac un roman de science fiction et peu à peu mon attention a dérivé vers le suivi de la conversation de ma voisine. La dame du quatrième siège faisait elle aussi semblant de lire mais en lui jetant un coup d’œil par-dessus le dos de ma voisine qui parlait courbée sur ses genoux j’ai bien vu qu’elle ne lisait pas plus que moi perturbée par son voisin de droite. Le voyage allait être long et pénible. Au bout d’un moment nos deux jeunes ont lié connaissance et commencé à comparer les mérites respectifs de leur téléphone : sujet de conversation qui m’a vite ennuyé. Jetant un coup d’œil à la dame du bout j’ai vu qu’elle partageait mon agacement et nous nous sommes souris, déjà un peu complices. C’est elle qui a pris l’initiative de demande aux jeunes gens de changer de place. Son initiative ma étonné mais elle m’a comblé d’aise. Ma voisine a accepté sans rechigner de prendre sa place et ma nouvelle voisine et moi nous avons fait connaissance.
- Vous devez me trouver bien hardie de vouloir me rapprocher de vous ?
- La hardiesse féminine ma ravit bien au contraire. Nous sommes dans un lieu public et votre intention ne peut qu’être honnête. Je ne vois aucun mal à ça que deux amoureux de la lecture se rapprochent et partagent leur plaisir de lire.
- Merci de ne pas mal interpréter mon initiative.
Nous sommes restés ensuite plusieurs minutes sans parler. Il nous fallait intégrer cette situation et en envisager les suites possibles.  Cette phase de réflexion passée nous avons commencé à parler littérature (elle aimait les biographies et les romans historiques et moi je préférais la littérature fantastique et les romans policiers) .et puis nous avons parlé de nos occupations professionnelles et de notre voyage à Lyon.
Avant de poursuivre il faut que je vous décrive succinctement cette charmante dame. Elle était grande, mince et distinguée mais avec une simplicité naturelle dans ses propos et son maintien. Brune aux yeux d’un bleu presque violet il émanait d’elle un charme auquel j’étais sensible sans arrière pensée, du moins au début de nos échanges. Sa tenue était simple : pantalon et veste en Jean mais de grande marque. Le corsage boutonné haut cachait tout ce que j’aurais aimé voir. Une montre d’homme au bras gauche et 2 petites perles aux oreilles étaient ses seules parures.
Elle allait à Lyon qu’elle ne connaissait pas pour un rendez-vous commercial impromptu. Elle projetait de compléter son déplacement par d’autres rendez-vous à organiser sur place et pensait pouvoir rester plusieurs jours à Lyon. Curieux de savoir dans quel hôtel elle comptait loger (suite logique de mes réflexions hypocrites) j’ai abordé le sujet en lançant :
- Vous allez avoir du mal à trouver un hôtel ce soir car à Lyon il n’y a pas de période creuse : Les hôtels sont toujours complets sauf en périphérie. C’est d’ailleurs dans un hôtel loin du centre que personnellement je vois à chaque fois que mon travail m’appelle à Lyon. C’est à sortie de l’autoroute, à Tassin la demi-lune pour être exact.
- Vous croyez que je pourrais y trouver une chambre ?
- Je connais bien le patron de l’hôtel qui est devenu un ami. Il se fera un plaisir de vous trouver une chambre sauf s’il est parti chercher fortune ailleurs. Si son hôtel est complet il y en a deux ou trois autres dans le même coin. Vous finirez par trouver.
J’ai senti ma voisine rassurée sur ce point toujours délicat quand on voyage sans rien avoir organisé.
Nous avons repris notre conversation sur nos livres préférés. Je lui ai parlé des livres qui ont jalonné ma vie : Jean Ray puis Thomas Owen, deux auteurs belges incontournables dans le fantastique. En science fiction après avoir fait le tour des auteurs américains Lovecraft, Isaac Asimov, ou Ray Bradbury, j’ai découvert un auteur français peu connu mais génial : Stefan Wul, Pierre Pairault de son vrai nom. A son tour elle m’a parlé de ses auteurs préférés : Colette, George Sand et Agatha Christie pour le charme inimitable de la vie anglaise.
 
Elle comme moi prenions bien soin de ne pas parler de nos attaches familiales. De manière tacite pas question de parler d’épouse, époux ou enfants. Quelque chose nous en empêchait, comme une envie d’oublier le passé, d’explorer le présent pour ne penser qu’à l’avenir.
Nous avions complètement oublié nos jeunes voisins qui jouaient encore avec leurs téléphones en arrivant à la gare de Lyon-Perrache autour de 20 heures. Il ne fut pas difficile de trouver un taxi pour nous emmener à notre hôtel. Le voyage fut court car l’heure de pointe se terminait.
Dans la grande salle de l’hôtel j’ai tout de suite repéré l’horloge ancienne qui était un signal convenu. A ma dernière visite le patron m’avait dit qu’il serait encore en place si l’horloge était toujours accrochée au-dessus du comptoir de réception. Il était donc toujours là. Ses antennes avaient dû le prévenir de notre arrivée car il apparut soudainement quelques secondes après que nous ayons franchi la porte d’entrée.
- Monsieur Chlorate c’est un plaisir de vous revoir. Ne vous ayant pas vu depuis 3 mois je vous croyais passé à la concurrence.
- Comme vous voyez je suis toujours fidèle à votre établissement et je ne suis pas près de changer.
- Vous êtes venu accompagné de madame je suppose ?
- Heu... madame n’est pas mon épouse. Nous avons fait connaissance dans le train et madame n’ayant pas pu réserver de chambre d’hôtel je lui ai proposé de m’accompagner car j’ai supposé que vous auriez peut-être des chambres de libres.
- Excusez-moi, je suis un gros balourd. Effectivement il me reste 2 chambres mais dans un autre pavillon que le votre. Zut, je faute encore…
Nous éclatâmes tous les trois de rire car c’était la seule solution pour oublier l’instant de gêne qui nous avait saisis.
Après avoir rempli les fiches traditionnelles chacun a rejoint son pavillon après nous êtes donné rendez-vous pour dîner.
Je suis descendu le premier dans la salle du restaurant et Daniel, le patron est venu me rejoindre pour s’excuser. Je l’ai rassuré en lui laissant entendre que peut-être il n’était pas très loin d’avoir deviné sinon du présent mais peut-être des événements en devenir. Nous avons parlé de nos activités personnelles puis bien vite de ce qui nous passionne. Daniel est un collectionneur d’horloges, de pendules et de montres anciennes, d’où la présence dans le hall de la superbe pendule que j’avais remarquée lors de ma première nuit dans son hôtel. Il me montra sa dernière acquisition : une superbe montre de gousset en or avec complications. Nous étions tellement absorbés par l’examen du mécanisme de la montre que nous n’avons pas vu arriver ma voisine du train. C’est elle qui nous informa de sa présence :
- Alors les gamins on s’amuse bien avec ce joujou à égrener le temps ?
Bien entendu nous avons bafouillé de plates excuses. Daniel a cédé sa chaise à ma belle brune qui s’est installée sans façon et en prenant l’initiative annonça :
- Permettez-moi de me présenter : je m’appelle Elisabeth et je tiens à ce que nous partagions les frais de ce repas. Cela va vous éviter de fantasmer inutilement.
Je suis resté sans voix un instant. La douche froide était bien froide.
- Je m’appelle Hippolyte et je reconnais que mon intention était bien de vous inviter à ce repas mais je m’incline et je vais garder mes fantasmes pour une autre occasion ou une autre femme moins rebelle.
- Je ne suis pas rebelle mais il me faut toujours observer et juger avant de laisser ma nature me guider une conduite.
Cette réponse me rassura un peu en laissant à mes idées salaces un léger espoir.
- Si nous examinions le menu ?
Le restaurant s’étant presque vidé des ses commerciaux et touristes fatigués d’un long voyage ou d’une dure journée. Daniel était resté à l’affût et se précipita pour nous conseiller sur ce qu’il pouvait encore demander aux cuisines à cette heure là. Il pouvait nous faire soit une belle omelette aux herbes, soit une bavette à l’échalote avec entrée et desserts du buffet. Elisabeth choisit l’omelette et après une hésitation je pris la même chose bien que la bavette me tentât beaucoup. La conversation reprit laborieusement. Elisabeth me parlait de son métier entre deux bouchées et me jetait souvent un coup d’œil brillant de malice.
- Ne faites pas cette tête là Hippolyte. Vous avez l’air d’un chien battu par sa méchante maîtresse. Faites-moi un grand sourire et dites-moi que vous m’aimez un peu malgré ma réticence à satisfaire vos fantasmes.
Je suis parti à rire tellement j’étais surpris par la volte-face d’Elisabeth qui en fait n’en était pas un. Je compris qu’elle avait forcé le trait pour m’amadouer et me sortir de ma bouderie.  Le repas continua dans une ambiance de plus en plus amicale et chaleureuse Nous étions comme deux amis qui démarrent un projet secret encore balbutiant peut-être mais dans lequel nous allions projeter toutes nos forces. Chacun essayait de découvrir chez l’autre les forces propres à soutenir le projet et les faiblesses capables de le faire capoter. Cette analyse de ces premiers échanges ne m’est venue à l’esprit que bien plus tard en réfléchissant à ce que nous avions fait de ce projet encore à créer. Elisabeth ne s’attarda pas et rejoignis sa chambre après un bonsoir joyeux. Daniel revint aussitôt et pris sa place.
- Alors échec et mat ?
- Pas si vite Daniel, juste échec. L’avenir me semble prometteur à condition d’être patient et que mon profil s’intègre dans sa vision des hommes. Ce n’est pas gagné je te le concède mais rien n’est perdu et c’est peut-être mieux ainsi. Ressors-moi ta montre que je finisse de l’admirer. Nous passâmes un bon moment à parler de montres et de son avenir dans l’hôtellerie. Je suis allé me coucher l’esprit assez confus je dois l’admettre.
Le lendemain matin je ne vis personne, pas plus Daniel qu’Elisabeth. Je suis redevenu le professionnel en voyage d’affaire et je suis descendu à Lyon en taxi. Mes clients me virent arriver avec plaisir et je réussis à régler les problèmes de logiciels récalcitrants sans y passer trop de temps. Un logiciel récalcitrant est un logiciel dans lequel un bugg coriace se cache et fait dire au client que rien ne marche et que le délai de règlement de la facture mettra autant de temps à se régler que celui passé à trouver l’erreur. J’ai fini ma journée avec deux chèques propres à calmer ma banquière. Je suis rentré à l’hôtel avec l’espoir de revoir Elisabeth mais Daniel ne l’avait pas encore vue arriver. Il me rassura en me disant qu’elle n’avait pas payé sa note et que son sac de voyage était bien resté dans sa chambre. Elle arriva peu de temps après la mine renfrognée. J’en conclus que ses affaires s’étaient bien moins conclues que les miennes et cela fit baisser d’un cran mes projets vers le râteau pour mes ambitions de la soirée Quand Elisabeth descendit au restaurant son premier mot fut :
- Hippolyte, offrez-moi l’apéritif, j’en ai besoin. J’ai les nerfs en pelote.
Je m’empressais avec déférence comme devant une déesse prête à me fouetter pour avoir médit des dieux. Un copieux Martini-gin lui redonna presque le sourire et elle me raconta sans détails inutiles les déboires de sa journée. J’en conclus qu’elle avait un esprit bien organisé, le sens de ses affaires et de la riposte rapide quand on l’agresse.
- Hippolyte, il faut que nous fassions quelque chose ensemble.
- ????
- Et ce n’est pas ce à quoi vous pensez espèce d’obsédé sexuel.
- Mais je ne pense à rien votre altesse, j’attends vos ordres et je suis prêt à me soumettre à toutes vos volontés.
- Hippolyte, j’en ai marre du commerce, de la mode, des architectes d’intérieur, des designers et des financiers pourris jusqu’à la moelle. J’ai compris aussi que l’informatique et les clients jamais contents vous bouffent la santé. Il faut changer, faire autre chose, vivre enfin ce pourquoi nous sommes faits.
- Oui mais quoi votre altesse ?
- Arrêtez donc avec votre altesse qui pue l’obséquiosité d’un courtisan débile et servez-moi à boire.
- Tout de suite votre… Elisabeth.
Elisabeth sirota son deuxième verre dans un silence presque religieux. De temps en temps elle me regardait comme si j’étais un cheval de course (de trot plutôt) à acheter.
- Que pensez-vous des hommes politiques ou du show-biz qui profitent de leur pouvoir pour abuser des jeunes femmes qu’ils côtoient où qu’ils emploient ?
- Je trouve cela ignoble madame le juge et je pense qu’un séjour en prison à se faire défoncer par des codétenus leur ferait le plus grand bien.
- Bien parlé Hippolyte mais savez-vous que la plupart de ces individus ne vont pas en prison grâce à l’argent qu’ils proposent à la victime pour la faire taire et qui parfois accepte ou des avocats efficaces et des délais de prescriptions dépassés la plupart du temps.
- Et alors, que peut-on faire madame le juge ?
- Je m’appelle Elisabeth et votre « madame le juge » commence à me gonfler sévère petit homme. Reprenons sur de bonnes bases. Nous allons nous occuper d’eux Hippolyte.
- Heu… pourquoi pas mais comment ? Je ne suis pas indifférent au problème, bien au contraire. Je connais la sœur d’un collaborateur qui a laissé entendre à son frère qu’elle avait été violée par son patron. Elle ne veut rien dire de plus malgré l’insistance de son frère. Mais je ne vois pas ce que je pourrais faire.
- C’est bien là le problème : D’un côté il est quasiment impossible de punir ces malfaisants et d’autre par les victimes d’agressions sexuelles ont peur des conséquences d’un dépôt de plainte. Et ça je ne le supporte pas. Allons manger car l’apéritif m’a donné faim.
Nous avons rejoint une table loin des autres clients et nous avons commandé notre repas au serveur de la maison, Daniel étant pris à la réception par de nouveaux clients.
Nous avons abordé le repas en silence, chacun réfléchissant aux propos tenus à l’apéritif. De mon côté je ne voyais pas de moyen pour punir un violeur quel qu’il soit en-dehors d’une procédure judiciaire. Je devinais qu’Elisabeth, par contre, ruminait un tas d’idées criminelles. Il n’était pas difficile de trouver pourquoi elle avait abordé ce sujet dès son arrivée à l’hôtel. Elle avait dû subir une tentative de viol dans la journée. Je suis presque certain qu’elle avait su se défendre mais cette agression qui ne devait pas être la première l’avait mise en rage. Je laissais passer les minutes sans rien dire, me concentrant sur mon assiette. A bout de patience je m’enhardis à poser la question qui me taraudait.
- Elisabeth, votre vision des hommes a été sérieusement bousculée aujourd’hui ?
- Exact Hippolyte et l’enfant de salaud qui en a été la cause doit s’en mordre les doigts ce soir. Je lui ai fait comprendre qu’il s’était trompé sur mon compte et qu’une fourchette dans les yeux pouvait faire très mal très longtemps. Il n’y a que ça qu’ils comprennent ces salauds, la force. Il faudrait que les filles apprennent à se défendre, à se battre sans arme autre que leurs poings ou leurs pieds. Mais la force ne suffit pas. Elle ne doit apparaître qu’en dernier ressort car la conséquence est forcément la perte de l’emploi. Il y a mieux à faire. Bien souvent ces individus sont riches, ont une position sociale à laquelle ils tiennent. C’est par là qu’il faut les attaquer. Qu’en pensez-vous ?
- Honnêtement je ne pense à rien, comme ça brutalement. Actuellement je suis en position de spectateur, ému par votre aventure mais sans idées sérieuse pour combattre ce fléau. Il faut que vous me laissiez un temps de réflexion.
- Je vous comprends Hippolyte mais j’aimerais beaucoup attaquer ce problème avec vous. Ne me demandez pas pourquoi. C’est instinctivement que je vous crois capable de m’aider dans le projet que je sens inéluctable. Quel projet ? Je ne sais pas encore. Une école certainement pour former des jeunes filles mais cela ne me suffit pas. Des actions coup de poing peut-être mais c’est encore très flou. Il faut faire quelque chose, ça j’en suis sur. Mais parlons d’autre chose si vous le voulez bien.
Je lui ai raconté brièvement ma journée mai surtout des anecdotes anciennes liées à mon métier. Je commençais par le souvenir le plus ancien : une secrétaire d’un client à qui j’avais conseillé de ranger ses disquettes dans un classeur m’avait appelé quelques jours plus tard en me disant que plus rien ne marchait. En soupirant j’ai pris mes disquettes de sauvegarde et je me suis rendu à Puteaux, lieu des exploits de la belle Laura. Elle me montra, toute fière le classeur où elle avait rangé ses disquettes. Croyant bien faire elle avait perforé les disquettes de 2 trous bien alignés. C’est tout juste si je ne me suis pas fait engueuler pour n’avoir pas précisé la façon de classer les disquettes. Chez un autre client on m’appela pour me dire que chaque matin l’ordinateur refusait de démarrer avant 9 heures mais qu’après 9 heures il démarrait sans problème. Le frère du patron, medium, sourcier, essaya de me convaincre qu’un mauvais esprit s’était emparé de la machine. J’avais du mal à accepter ses conclusions mais je n’avais rien à lui opposer jusqu’à ce qu’une des secrétaires me signale que tout près du bureau se trouvait une fonderie qui démarrait tous les matins à 8 heures ; C’est l’appel du courant qui faisait baisser la tension électrique de manière importante. Ce fut une belle occasion pour moi de proposer l’achat d’un onduleur. Quelques autres anecdotes finirent par dérider ma belle brune. Elle me demanda si j’avais fait beaucoup de conquêtes parmi mes clientes. A ma grande honte je lui avouais que j’avais toujours été repoussé comme un dragueur pénible et même comme un être malfaisant ou au contraire que je n’avais pas su exploiter des invitations que je n’avais pas comprises sur le coup. C’était là mon plus grand remord : m’être fait draguer et ne pas avoir su en profiter.
- ça ne m’étonne pas de vous Hippolyte : vous me semblez un grand rêveur qui ne voit le monde qu’à travers vos livres et votre ordinateur. Si un jour je décide de vous draguer je vous assure que vous comprendrez vite le message petit homme.
Sur ces mots Elisabeth se leva de table et nous nous séparâmes pour aller dormir, sans arrière pensée.
Le lendemain matin nous nous sommes retrouvés au petit déjeuner et j’ai exposé sans attendre les idées qui avaient germé dans mon cerveau toujours à l’affût d’idées saugrenues.
 - Ma chère amie j’ai réfléchi à votre problème et quelques idées ont germé dans mon cerveau d’obsédé sexuel frustré. Nous allons commencer par créer une école de self défense pour les jeunes filles ou femmes qui sont conscientes des dangers qu’elles courent. J’ai un ami qui gère une salle de sport et qui a du mal à boucler les fins de mois. Ce créneau devrait l’aider à se remettre à flot. Pour financer cette école nous allons rançonner quelques patrons du show-biz. Je sais, faire chanter des gens ce n’est pas bien mais l’objectif poursuivi nous y autorise. Une fois nos jeunes élèves formées nous allons leur dévoiler notre projet réel : Elles devront aguicher des cibles potentielles, nous tendrons avec leur aide un piège et grâce à des photos et vidéo volées faire chanter puis abattre nos victimes. Sur le nombre certaines refuseront de jouer notre jeu mais il nous suffit de deux ou trois pour pouvoir commencer notre action.
Elisabeth me regarda toute ébahie.
- Et qu’est-ce que je fais moi dans tout ça ?
- Vous aller jouer le premier rôle donc le premier appât. Avec mon aide bien entendu. Je résume ;
- Nous piégeons notre première victime grâce à vous et avec la rançon nous finançons notre école. Quelques filles de l’école motivées nous trouvent d’autres proies qui nous fournissent de quoi financer les frais d’avocat des victimes qui vont adhérer à l’association que nous allons monter. Faut affiner bien entendu.
- Ben mon colon !! Comme aurait dit mon cher papa, pour un rêveur mon cher Hippolyte vous n’êtes pas manchot quand vous vous y mettez. Si nous prenions le même taxi pour descendre à Lyon ? Nous pourrions continuer cette intéressante conversation.
La conversation nous permit d’arriver au centre de Lyon sans grogner contre les bouchons et sans écouter le chauffeur du taxi qui nous prenait pour des touristes. Mais il ne sortit rien de cette conversation car nous étions comme devant une grosse pièce montée que nous ne savions pas comment découper. Il faut avouer aussi qu’Elisabeth n’était pas en pantalon ce matin là et que ses genoux captivaient mon regard plus que nécessaire. Elle semblait ne pas s’en apercevoir ce qui m’étonna un peu. Elle quitta le taxi dans le quartier des soyeux à la Croix Rousse. Je continuais vers Vaulx-en-Velin ou j’avais mon client prévu pour la journée. C’était une journée qui ne me laissait pas le temps de penser à notre projet. Chez ce client le travail s’arrêtait à 11heures 30 pour passer dans la salle bistrot pour ensuite déjeuner dans un bon restaurant. L’après-midi était un vrai calvaire car il fallait évacuer les lourdeurs de l’alcool et quand même résoudre les problèmes en cours. J’y suis arrivé dans un délai raisonnable. Le comptable de la société devenu un ami m’invita à dîner chez lui ce que je refusais en lui parlant d’un rendez-vous galant auquel je ne croyais pas. Il me raccompagna néanmoins à mon hôtel qui se trouvait sur son chemin de retour. Elisabeth n’était pas revenue et je savourais un grand verre d’eau à bulle en discutant avec Daniel. Daniel, outre sa passion pour l’horlogerie s’intéressait beaucoup à la politique locale et était au courant des ragots qui circulaient sur les uns et les autres. Je n’ai pas eu besoin d’orienter la conversation vers le sujet qui m’intéressait. Il me raconta que le député de la troisième circonscription, patron d’une grosse entreprise pharmaceutique avait des comportements assez malsains envers les femmes. Je n’eus aucun mal à lui faire dire tout le mal qu’il pensait de cet individu. Je récoltais au passage quelques informations sur sa situation financière. Elisabeth nous rejoignit alors que la conversation avait tourné vers des sujets plus anodins. Elle semblait de meilleure humeur que la veille et nous primes l’apéritif, léger pour moi, en parlant de nos journées respectives. C’est pendant le repas que je lui appris tout ce que Daniel m’avait raconté sur une proie possible pour notre projet.
- J’ai réfléchi à votre idée Hippolyte mais je ne vois pas encore quels rôles nous pourrions jouer pour faire fonctionner le projet. D’un côté il faut piéger le salaud dont nous connaissons le vice et ensuite il faut exploiter les infos récoltées pour le faire payer sans tomber nous-mêmes dans le piège.
- Je suis comme vous me chère Elisabeth. Il faut continuer à rassembler les armes, les moyens. Je pense par exemple à des neveux de mon épouse qui sont dans la police et dans le département qui traque les terroristes. Ils pourraient nous aider par des écoutes téléphoniques.
- Vous êtes marié Hippolyte ? Vous me décevez grandement. Non seulement marié mais prêt à la tromper sans vergogne.
- Vous êtes célibataire vous Elisabeth ?
- Non, je suis mariée moi aussi mais je ne drague pas, moi...
- Ah ! Bon, j’aurais pourtant cru…
Un éclat de rire général mit fin aux questions embarrassantes.
- Le mieux serait que nous réfléchissions chacun de notre côté et que nous fassions le point dans quelques temps. Pour garder le contact il nous faudrait des téléphones mobiles différents de nos téléphones habituels.
Elisabeth accepta ma proposition et nous avons décidé de nous retrouver le lendemain dans un magasin pour acheter deux téléphones avec des cartes SIM prépayées.
Le lendemain matin, en payant ma note à Daniel j’eus droit à la question que j’attendais : « Alors Hippolyte on a bien dormi dans sa petite chambre du pavillon Les lilas ? »
- Mon cher Daniel j’ai très bien dormi mais seul. Et oui, il faut savoir attendre et je vous parie que lors de notre prochain passage, si Elisabeth est avec moi que vous ne louerez qu’une chambre. Petit bénéfice pour vous mais grande joie pour nous. 

CHAPITRE 2 -PROJET ET CONFIDENCES

Je suis rentré à Paris le cerveau en ébullition. Je naviguais entre, oublier Elisabeth et reprendre mes activités habituelles, et tout balancer pour courir l’aventure avec Elisabeth dont le visage, mais pas que, m’obsédait.
Je retrouvais sans joie mon épouse dont les qualités s’accordaient de plus en plus mal avec mes défauts. Je retrouvais mes clients de plus en plus exigeants et pingres et je retrouvais mes collaborateurs de plus en plus apathiques. Dans les semaines qui suivirent un gros client souhaitant diversifier ses activités me proposa d’acheter ma société à un bon prix en précisant que c’étaient les deux créneaux qui faisaient l’essentiel de notre chiffre d’affaires c’est à dire les experts-comptables et les petits artisans plus les compétences de mes collaborateurs sur internet qui l’intéressaient. Je ne mis pas longtemps à me décider. L’affaire fut conclue à un bon prix et je me suis retrouvé à la tête d’un capital que je n’avais jamais espérer posséder. Mon épouse, que j’avais tenue à l’écart de mes négociations choisit ce moment pour aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte et demanda le divorce. Elle devait en avoir assez de me voir consacrer plus d’énergie au travail qu’a elle et mes activités à la marge de mes voyages ne lui avaient pas échappé. Les nouvelles lois sur le divorce rendant celui la plus rapide firent que je me suis retrouvé libre comme l’air en quelques semaines. Je mis un certain temps à organiser cette liberté nouvelle. J’eus d’abord du mal à me lever tard sans avoir besoin de l’alarme du radio réveil. Il me fallait occuper mes journées et je me sentais comme en pays étranger, sans rapport ni lien avec un nouvel environnement. Sortir de chez moi à pied fut une découverte et un plaisir intense. J’allais chaque matin au bistro[1] du coin boire un café et lire le journal local que je découvrais. Les après-midis me virent retourner à la médiathèque qui n’avait plus rien à voir avec les bibliothèques municipales que j’avais connues des années auparavant. J’ai même visité le musée archéologique de la ville. Chaque jour je faisais une nouvelle découverte : le jardin municipal ou le chemin de halage avec les bonnes odeurs de l’eau se glissant paresseusement sous les jupes de nénuphars. Une nouvelle vie commençait. Pendant tout ce temps les échanges téléphoniques avec Elisabeth s’étaient maintenus au niveau de l’échange de banalités classiques entre deux personnes que rien ne rapprochait. Le projet n’avait évolué ni d’un côté ni de l’autre, nous n’en parlions presque plus. Je ne voulais rien lui révéler de ma nouvelle vie sans l’avoir d’abord apprivoisée et décidé de ce que je voulais en faire. J’ai cru un moment que l’écart entre elle et moi allait se transformer en gouffre quand le miracle arriva sans prévenir.
- Allo, Hippolyte ?
- Oui, bonjour Elisabeth, je suis là et je vous écoute avec une joie que vous ne pouvez pas imaginer.
- Tiens, donc, de bonnes nouvelles à m’annoncer ou seul le son de ma voix vous fait cet effet ?
- Oui, de très bonnes nouvelles mais je ne vous en ferai part qu’en tête à tête et votre voix est à mes oreilles douce comme un loukoum. Et de votre côté, que me vaut le plaisir de vous entendre ?
- Je suis dans votre ville demain pour plusieurs jours. Pourrait-on se voir ? Si cela vous fait plaisir bien entendu.
- Cela me fait plus que plaisir, cela me ravit et votre arrivée vient à point. Mais où, quand, comment ?
- J’ai retenu une chambre au Novotel ou doit se tenir la présentation de la nouvelle collection. Je vous propose de se retrouver au bar vers 20 heures. Vous pourrez vous libérer ?
- Pas de problème, je serais là à vous attendre tremblant comme un puceau à son premier rendez-vous.
- Du calme petit homme, bonne journée et à demain.
Je mentirais en disant que ma nuit fut paisible et que la journée du lendemain démarra sans mille questions. Comment allais-je m’habiller ? Décontracté jeune ou décontracté vieux ? Avec ou sans cravate ? J’insiste pour l’inviter ou on partage le repas comme à Lyon ? Et après le repas, hein ? Après ? Je verrais bien le moment venu. Il ne restait plus qu’à passer le temps en attendant 20 heures. J’ai donc marché et orienté mes pensées vers le paysage, les chiens rencontrés. J’ai croisé beaucoup de gens dont j’ai cherché à imaginer la vie, les préoccupations. Pour certains c’était facile comme la vieille dame qui part faire ses courses avec son cabas et sa canne. Pour la jeune femme courant après le bus qui est parti sans l’attendre, toutes les histoires imaginaires étaient possibles : allait-elle rater l’entrevue d’embauche qu’elle attendait depuis des mois ou serait-elle simplement en retard chez sa coiffeuse ? Mais la finesse de ses jambes et son dos cambré me disaient plus de choses que mon imagination. Elle s’était immobilisée soudainement et quand je l’ai doublée elle m’a arrêté pour me demander l’heure. Le son de sa voix criarde m’a fait retomber sur terre et piétiner mes idées salaces.
L’heure du rendez-vous est arrivée. J’aurais pu aller à l’hôtel à pied mais j’ai pris mon auto, au cas où. Comme à chaque rendez-vous important je suis arrivé en avance et j’ai de façon très hypocrite commandé un verre d’eau gazeuse au bar. Ce n’était pas le moment d’avoir une haleine de poivrot. A huit heures cinq j’ai commencé à m’impatienter, à dix je pianotais sur le bar et à quinze mon désespoir commençait à poindre le bout de son nez. Et puis elle est arrivée, un peu essoufflée ce qui donnait à son corsage un relief ondulatoire saisissant. Comme une bonne camarade elle me claque une bise sur chaque joue, ce qui me ramena à un niveau de sérénité absolument délicieux.
- Bonjour Hippolyte, vous m’avez l’air en pleine forme. Laissez-moi vous regarder. Regard clair, peau fraîche, vous avez rajeuni de 10 ans. Comment vous faites ? Moi je me sens plus vieille de 10 ans. Je dois être affreuse. J’ai eu une journée plus que fatigante. Offrez-moi un verre et racontez-moi votre nouvelle vie car je devine à vous regarder que ce changement est d’importance, je me trompe ?
- Et non ma chère Elisabeth, vous avez deviné juste. J’ai changé de vie et vous allez bien aimer ce que je suis devenu. Que voulez-vous boire ?
- Un gin tonic avec peu de gin, je dois me surveiller.
J’ai commandé 2 gins tonic et je lui ai raconté ce qui avait changé dans ma vie : la vente de la société, mon divorce en cours et le vide cotonneux dans lequel je nageais faute d’avoir lancé un nouveau projet.
- Je compte sur vous pour me sortir de ce coton.
- Mais c’est formidable ce que vous me racontez là ! Si vous n’avez plus d’idées, j’en ai plein car j’ai réfléchi entre deux voyages à nos projets de Lyon et c’est pour cela que je voulais vous voir mon cher Hippolyte. Vous m’emmenez dîner quelque par ?
Évidement je n’avais pas pensé à retenir une table dans un restaurant de la ville. Mais nous étions un soir de milieu de semaine et j’avais mon auto. Nous sommes allés nous garer près de la cathédrale à deux pas d’une rue où les restaurants se tassaient comme des sardines en boîte. Nous avons trouvé une table au deuxième essai dans un restaurant où le nombre de clients présents assurait de la bonne tenue de l’établissement. Il ne restait qu’une table près de la porte des cuisines ce qui ne nous enchantait pas mais la carte de poissons nous avait emballés. En sirotant notre flûte de champagne qui fêtait nos retrouvailles Elisabeth me raconta les péripéties récentes de sa vie toujours aussi trépidante. A l’inverse de moi elle n’avait pas encore trouvé le moyen d’y échapper et elle ressassait les projets les plus saugrenus. Ils commençaient tous par un divorce, puis selon l’humeur, un voyage autour du monde ou le braquage d’une banque. Quant à notre projet esquissé à Lyon elle ne voyait pas plus que moi comment le démarrer.
Laissons tomber pour l’instant lui dis-je. C’est lorsque nous n’y penserons plus que la bonne idée arrivera. En attendant je vais vous raconter comment j’ai failli me faire dépuceler à 15 ans.
-        Pas possible, vous Hippolyte vous avez laissé passer cette occasion ?
-        Et oui, et aujourd’hui encore j’y repense en me traitant d’imbécile irrécupérable. Mais je dois vous raconter dans quel cadre cela s’est produit et pourquoi je n’ai pas profité de l’occasion.
J’avais donc 15 ans et c’était ma dernière année de colonie de vacances. Depuis l’âge de 8 ans j’allais tous les ans en colonie de vacances organisée par le comité d’entreprise où travaillait mon père. Tous les ans je retrouvais les mêmes camarades dont Nicole dont j’étais forcément amoureux, platoniquement bien entendu. J’étais surtout passionné par les animaux, la collection d’insectes que j’avais commencée et le sexe me laissait complètement indifférent. Donc un matin une des monitrices est venue me chercher en me proposant une balade dans la forêt toute proche. Je n’y ai pas vu malice. Nous avion à peine fait une centaine de mètres qu’un aigle est passé au-dessus de nos têtes avec le bruit du souffle de l’air sur ses ailes. J’étais ébahi, émerveillé par ce superbe oiseau. Nous avons marché encore un peu et la monitrice m’a proposé de nous arrêter. Elle s’est allongée sur l’herbe et m’a demandé de venir à son côté. Je n’ai rien compris de ses intentions et j’ai continué à parler de l’aigle. Elle a vite déduit que moi je n’avais rien compris et nous sommes redescendus vers la colonie. J’ai retrouvé les copains, Nicole et je leur ai raconté l’épisode de l’aigle volant au ras de nos têtes. C’est seulement quelques années plus tard que j’ai réalisé l’occasion que j’avais laissé passer car il y a eu d’autres occasions du même genre qui se sont conclues de la même manière.
-        Mais Hippolyte vous êtes un pur chef d’œuvre d’innocence ?
-        Hélas plus du tout aujourd’hui. Mais cette histoire me donne un point de départ pour l’idée que nous cherchons.
-        Nous savons aujourd’hui que les femmes agressées se défendent, portent plainte et avec les réseaux sociaux commencent à former une communauté forte et efficace.
-        Mais qu’en est-il des enfants placés en colonie de vacances avec des moniteurs mal formés, mal payés et dont certains se comportent comme la monitrice de mes 15 ans ?
-        N’y a-t-il pas là un créneau ou nous pouvons intervenir et forcer les fauteurs à changer de comportement ?
-        Mouais, c’est gentil mais ça ne rapportera pas un kopek votre histoire. Par contre, j’ai également fait fulminer mes neurones et je crois avoir trouvé un projet fiable et rentable.
-        Ne me faites pas languir, racontez-moi ce projet.
-        Je n’en suis qu’au début des prémices car il y a encore pas mal de choses à mettre au point. L’idée part du constat suivant : L’Europe comprend plusieurs organismes : Le Parlement européen, le Conseil de l’Europe et la Commission européenne. Tout cela est composé d’hommes et de femmes politiques aux ambitions sans limites et donc la proie permanente d’aigrefins, catégorie d’individus dont je vous propose de faire partie. Vous savez qu’il y a déjà une quantité importante de lobbyistes au milieu desquels nous passerons inaperçus. L’objectif étant de piéger les hommes politiques de cet ensemble et d’en tirer le meilleur profit, profit qui nous permettra de financer un projet que je n’ai pas encore défini et c’est sur vous Hippolyte que je compte pour trouver la solution.
-        Bien trouvé Elisabeth, votre projet me rappelle celui de deux amis qui ont failli enterrer le forum de Davos. Je sens qu’on approche du but dont nous avions parlé à Lyon.
-        Comme ça, sans réfléchir, voilà l’idée : vous vous faites habiliter par un syndicat agricole écologique. Ce sera d’autant plus facile que pour eux l’Europe est inaccessible et ils seront ravis de vous confier ce rôle de lobbyiste... Normalement un lobbyiste doit se déclarer à l’autorité compétente mais beaucoup ne le font pas. Une lobbyiste écolo fera plutôt sourire et si en plus c’est une jolie femme quelle proie facile pour un député sexuellement insatisfait.
-        C’est moi la proie facile ?
-        C’est un rôle de composition à jouer Elisabeth voyons.
-        Et vous Hippolyte vous jouez quel rôle dans cette affaire ?
-        Je suis votre chauffeur, secrétaire, muet et aveugle.
-        Ça se tient. On en reste là pour ce soir car en y réfléchissant chacun de notre côté nous allons bien trouver un plan d’action qui tienne la route.
-        Comment ça chacun de notre côté ? J’envisageai une fin de soirée plus intime, pas vous ?
-        Pas ce soir Hippolyte, je suis fatiguée…
-        Et vous avez la migraine, je comprends…
-        Tout doux petit homme, de mon côté je sens mes sentiments avancer à grands pas vers les vôtre. Mais encore un peu de patience.
J’ai reconduit Elisabeth à son hôtel et nous nous sommes quittés avec un baiser sur la joue qui au lieu de me vexer me fit très plaisir. J’ai senti à ce moment là qu’une grande amitié venait de naître et je suis rentré me coucher le cœur apaisé et l’esprit clair. J’étais certain de faire aboutir le projet naissant.

[1] Le mot bistro s’écrit indifféremment avec ou sans t

CHAPITRE 3 - CHANGEMENT DE PROJET

La nuit a été tumultueuse : partagée d’un côté par l’inanité de notre projet me paraissait de plus en plus évidente et j’en ai conclu qu’il fallait arrêter de fantasmer dessus. D’un autre côté Elisabeth avait pris la place du projet avec des perspectives plus réjouissantes.
Je me suis donc levé l’esprit clair et dès que l’heure m’a semblé raisonnable j’ai appelé Elisabeth pour lui proposer de se revoir avant qu’elle ne reparte.
-        Bonjour Elisabeth je ne vous réveille pas trop tôt ? Avez-vous aussi mal dormi que moi ?
-        Effectivement j’ai mal dormi également et trop d’idées se bousculent dans ma tête. Hippolyte, j’allais moi aussi vous appeler. Je n’ai des rendez-vous que cet après-midi. Pouvons-nous déjeuner ensemble dans un restaurant loin du centre-ville ?
-        Je m’en occupe et je passe vous prendre (quelle mauvaise expression) vers midi à votre hôtel.
J’ai fouillé dans mes souvenirs pour trouver l’auberge qui conviendrait le mieux à notre rendez-vous. J’en choisi une où je n’avais jamais invité une de mes conquêtes, peu nombreuses heureusement. Un coup de téléphone m’a rassuré, l’auberge se trouvait à quelques kilomètres de l’hôtel ou Elisabeth avait passé la nuit.
La bise amicale que nous avons échangée me remplit de bonheur et je vis à son sourire qu’Elisabeth ressentait la même chose que moi. Nous nous sentions bien ensemble. Nous avons roulé sans parler de notre projet, seulement sur nos goûts culinaires qui différaient peu.
Nous avons pris le même Martini-gin que celui que nous prenions à Lyon en parlant de mon ami Daniel. Après avoir choisi les menus c’est Elisabeth qui aborda la première le sujet de nos préoccupations.
-        Hippolyte notre projet ne tient pas debout. Nous avons raisonné comme deux ados en mal d’aventure. Je n’ai plus l’âge de prendre des risques pour des bénéfices illusoires. Je veux du calme et encore du calme avec juste de quoi occuper mon esprit.
-        Je suis arrivé au même constat que vous. Et s’attaquer aux politiciens véreux de l’Europe c’est comme le châtiment de Sisyphe : la pierre retombera toujours. Moi aussi j’ai besoin de calme avec un projet qui m’enthousiasme sans me faire courir des risques inutiles.
-        Avant de poursuivre j’aimerais poser ma main sur la vôtre, est-envisageable ?
-        Avec plaisir Hippolyte, du moment qu’elle reste à sa place.
-        Merci Elisabeth, votre peau est délicieuse. Bon maintenant j’ai une idée à vous soumettre. Cette idée m’est venue pendant mes visites à la médiathèque et en me promenant sur les berges de la Sarthe. J’ai admiré les joutes amoureuses des colverts. Avez-vous remarqué que chez les oiseaux ce sont toujours les mâles qui ont le plus beau plumage mais ce sont toujours les femelles qui choisissent le mâle le plus beau. Mais revenons à l’idée qui m’est venue : Vous avez lu les lettres de madame de Sévigné comme moi mais reconnaissez qu’elles avaient un défaut majeur : il n’y a pas d’échange. Je verrai bien écrire avec vous un livre de lettres entre une femme et un homme qui ne se connaissent que par l’écrit. Presque chaque jour nous échangerions des pensées, des souvenirs. Chaque lettre serait une réponse à la lettre reçue. Il y aurait des quiproquos, des bouderies, des excuses, des renvois d’ascenseur. 
-        Super, j’adore écrire et cette idée me plait bien mais il y a un hic : de quoi allons-nous vivre pendant ce temps ? Moi je peux continuer un certain temps mon travail d’agent commercial chic mais j’aimerais trouver autre chose sans les risques rencontrés comme à Lyon. Mais vous Hippolyte vous vivez actuellement sur l’argent de la vente de votre société mais ça ne peut pas durer infiniment.
-        Vous avez raison et je vais chercher un poste de chef de service informatique dans une grosse boîte genre assurance ou groupement d’entreprises. Bien évidemment mon rêve serait que nous trouvions chacun un travail qui nous rapproche nous permettant éventuellement de partager le même logement.
-        Pop, pop, pop, petit homme, je trouve que vous allez bien vite à la solution qui permettrait à vos besoins érotiques de s’épanouir. Depuis un moment je vous trouvais bien timoré dans vos approches. Vous revenez à la charge ? Quoi qu’à la réflexion, pour être honnête, ça me plairait bien aussi mais attention, chacun chez soi. Mais nous n’en sommes pas là. Resservez-moi un verre de Bordeaux pour me remettre d’avoir avoué mes sentiments. Moi je ne crois plus aux miracles. Trouvez un emploi bien payé en CDI, au fait ça veut dire quoi CDI ? contrat à durée infinie ?
-        Non c’est un contrat à durée indéterminée.
-        Je ne vois pas la différence : l’infini est bien indéterminé ?
-        Vous ne voyez peut-être pas mais dites à un agent de France Travail (ex Pôle Emploi) que vous cherchez un travail à contrat à durée infinie et vous serez surprise de la réponse.
-        Bon d’accord. Je sens que nos échanges épistolaires vont être acidulés certaines fois. On revient donc au point de départ : Vous cherchez et trouvez un emploi bien payé dans une cité pas trop moche. De mon côté j’essaye de prouver à mon employeur actuel que je ne suis pas obligée d’habiter à sa porte. Avec une ligne fibre optique, une box, les mails et le téléphone on doit pouvoir s’arranger. Avec de la chance, de la patience, de la persévérance peut-être qu’un jour quand nous aurons approché l’âge de la retraite pourrons-nous travailler sinon habiter proches l’un de l’autre. D’ailleurs pourquoi on ne dit pas « l’une de l’autre » ?
-        Je vous sens pessimiste Elisabeth. Il y a peu de temps vous vous sentiez capable de monter à l’assaut de l’Europe at aujourd’hui vous ne voyez que des difficultés à la réalisation d’un projet tout simple.
-        Projet qui concerne aussi 6 millions de chômeurs qui ne trouvent pas de travail en passant. Tiens j’ai aussi une idée. J’ai un tonton qui possède un manoir en Sologne et qui vit seul. Tous les ans à son anniversaire je vais lui faire la bise et prendre des nouvelles de sa santé. Qui sait s’il n’a pas besoin d’un garde-chasse et d’une gouvernante ? Celle que je connais doit être centenaire aujourd’hui.
-        Dans les romans d’Agatha Christie le chatelain, un baron en général, emploie toujours un couple : lui comme majordome et elle comme cuisinière. Si votre oncle a le même profil nous allons devoir nous marier avant de lui offrir nos services. J’ai toujours rêvé d’être un majordome et de vous épouser depuis quelques temps. Mais à défaut j’accepterais un emploi de garde-chasse.
-        Pas question de mariage. Prenons les choses dans l’ordre : Vous trouvez un travail. De mon côté j’essaye d’assouplir les liens avec mon employeur actuel. Et on se revoie dans une quinzaine si possible.
-        Bien altesse.
-        Ne refaite pas l’idiot Hippolyte sinon je retire ma main et vous la…, et puis non, je vous aime trop pour vous gifler.
-        Yes, elle l’a dit. Moi aussi vous le savez bien je vous aime. Ah ! que c‘est bon. Demain j’écris la première lettre et je vous promets de chercher un emploi à durée infinie. Je vous ramène à votre hôtel ?
-        C’est moi qui paye le repas aujourd’hui et on ne discute pas.
-        D’accord votre… pardon. D’accord Mon Elisabeth adorée. C’est mieux là ?
-        Pas si vite Hippolyte.
Nous nous sommes séparés à regret alors que nous avions encore plein de choses à nous dire. Ce sera dans la première lettre car pourquoi inventer deux personnages auxquels nous prêterons nos sentiments actuels. Ces trois premiers chapitres n’en seront que le préambule.

ECHANGES DE LETTRES ENTRE ELISABETH ET HIPPOLYTE

Première lettre Hippolyte

Bonjour chère Elisabeth
Ecrire cette lettre me trouble infiniment. Au téléphone j’entends votre voix et quand je vous ai en face de moi mon âme s’illumine et je ne vois rien d’autre que vous. Devant le clavier d’ordinateur je me sens bête et je cherche mes mots. Tout bêtement je vais commencer par vous donner des nouvelles concernant ma recherche d’emploi puisque c’est la première chose que nous avions prévue de faire. Bien entendu je me suis inscrit à « France Travail » et à l’APEC (recherche d’emplois cadres). J’ai rédigé un CV ce qui m’a profondément perturbé. J’ai eu bien du mal à ne pas écrire : « je cherche un emploi bien payé demandant peu de travail », phrase qui doit être en filigrane dans tous les CV mais que personne n’écrit . On m’a proposé de faire un bilan de compétences, pourquoi pas. Une fois ces corvées assumées j’ai pris mon téléphone et en piochant dans les pages jaunes j’ai appelé au culot les patrons d’entreprises qui me tentaient. Certaines secrétaires m’ont envoyé bouler en me proposant d’envoyer un CV ce que j’ai refusé prétextant un passé professionnel secret défense. Il me faut un RV confidentiel. J’ai réussi à avoir deux RV. Pas mal n’est-ce pas ? Mais pas de réponse positive pour l’instant. Je continue avec la même méthode.
En réalité je ne fais que penser à vous.

Je vous embrasse tendrement
Hippolyte Chlorate

 Deuxième lettre Elisabeth

Bonjour Hippolyte
Votre première lettre m’a profondément déçue. J’avais cru comprendre que vous m’aimiez autant que je vous aime et que lis-je dans votre lettre ressemblant à un conte-rendu destiné à un employé de France Emploi ?
« En réalité je ne fais que penser à vous. »
C’est un peu court petit homme. Je m’attendais à plus d’émotion et plus de mots propres à me faire frissonner mais à lire votre lettre je n’ai eu que le sentiment de prendre un bain d’eau tiède.
Je vais donc vous répondre sur le même ton : J’ai réussi à obtenir de mon employeur de faire du télétravail entre les visites aux clients. Je me porte bien et ma balance reste neutre concernant mon poids.
Oublions cela. Je repense souvent à notre rencontre de Lyon qui laissait entrevoir une relation plus chaleureuse. J’en suis encore toute émue et malgré la déception que m’a causé votre lettre je suis certaine que paraphrasant Monsieur Jourdain vous avez murmuré avant de vous endormir : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. »
Je termine en vous embrassant tendrement car je vous aime toujours et j’attends bien vite une lettre qui me réchauffe le cœur.
Elisabeth

Troisième lettre Hippolyte

Ma chère Elisabeth
Je comprends votre courroux et je me sens « petit homme » comme vous aimez me qualifier. Je n’ai pas d’excuse mais vous devez comprendre que j’ai peu d’expérience en lettres amoureuse. Pendant des années je n’ai écrit que des lettres commerciales ou des programmes d’ordinateur. Je dois apprendre et je vais m’y employer avec toute l’ardeur que me donne l’amour que j’ai de vous.
Cette nuit j’ai fait un rêve que je dois vous raconter :
« Vous étiez, hier après-midi, accoudée à la barrière de pierre au bord du lac et vous pleuriez. J’étais alors à l’ombre d’un platane dont les branches caressaient l’eau du lac et je vous voyais pleurer. Depuis votre position vous ne pouviez me voir. Sans raison je me suis mis à pleurer avec vous. Je ne saurais jamais pourquoi ni ne vous demanderais jamais les raisons de vos larmes. Étiez-vous alors la visualisation d’un souvenir ancien ? Je n’ai pas de souvenir montant à la surface de ma mémoire qui expliquerait cette communion des larmes.
            Vous pleuriez, alors je pleurais.
            J’aurais pu m’éloigner et chercher à oublier ce moment à la fois douloureux et délicieux. Je ne peux hélas rien oublier, ni vous larmes, ni votre visage à moitié caché par vos noirs cheveux. »

            Je ne sais pas comment interpréter ce rêve mais je crois qu’il tisse un fil entre vous et moi.
            Moi aussi je repense souvent à notre rencontre dans le TGV et dans nos repas à l’hôtel de mon ami Daniel. J’essayais alors de deviner qui vous pouviez être, au moral comme au physique. Je devinais parfois, anticipais souvent. Je pense à ce qui me déplait le plus souvent chez une femme : sa voix et sa façon de s’exprimer. Sur ce plan vous m’avez charmé car de vos lèvres admirables ne sortaient que des pensées propres à me transporter.
Je regrette parfois que nous ayons du abandonner notre projet utopique mais je me dis que la douceur et le calme auxquels nous aspirons nous rendrons plus heureux le jour où nous serions réunis.
            Ne pourrions-nous pas envisager un week-end pour rendre visite à votre oncle et son manoir ? Je garde un merveilleux souvenir de la Sologne que j’ai un peu connue dans ma jeunesse lors de colonies de vacances.
            En espérant que cette lettre efface dans votre esprit l’impression ressentie à la lecture de la première je vous embrasse tendrement et j’attendrais avec impatience votre prochaine missive
Hippolyte

Quatrième lettre Elisabeth

Très cher Hippolyte
Merci d’avoir laissé votre inconscient vous faire pleurer avec moi. Je crois en notre amour plus que jamais. Je vais prendre contact avec mon vieux tonton afin d’aller lui souhaiter son anniversaire dont la date approche. Son manoir est assez grand pour pouvoir nous loger sans promiscuité gênante. Mais non, gros bêta…
De mon côté la semaine a été éprouvante car un client a voulu répéter l’essai qu’un autre avait tenté à Lyon, vous devez vous en souvenir. Il va le regretter toute sa vie et pas sûr qu’il puisse encore copuler. J’étais habillée ce jour-là d’un corsage assez seyant qui a dû réveiller ses instincts de prédateur et un jean avec aux pieds des Dr Martens. Ce monsieur à la fin de l’entretien s’est levé de son bureau et venant vers moi a commencé à baisser la fermeture éclair de son pantalon et me demandant une faveur à laquelle la signature du contrat lui donnait droit croyait-il. Il avait oublié que bien qu’étant une femme j’avais le sens de la stratégie et du caractère. Je lui ai dit, semblant accepter sa proposition « avec plaisir mais fermez les yeux je ne veux pas sentir votre regard au-dessus de ma tête. » Il a laissé tomber son pantalon a sorti son sexe et a levé les yeux au ciel. Avec mon téléphone je j’ai pris en photo et je lui ai éclaté les couilles d’un bon coup de pied parti de loin. Il s’est écroulé j’ai repris une photo pendant qu’il se tortillait sur le tapis et j’ai récupéré son exemplaire de contrat. Je suis sortie du bureau, j’ai montré les deux photos à sa secrétaire en lui demandant de supprimer mon nom dans l’agenda de son patron et de prévenir le SAMU pour un cas urgent. Je suis certaine qu’elle a compris le message et qu’il n’y aura aucune suite me concernant. Sortie de l’immeuble j’ai déchiré les deux contrats et suis entrée dans le premier bistrot pour boire un verre. Il m’a fallu un certain temps avant que je puisse tenir mon verre d’une seule main sans trembler. Les jours suivants aucun article dans la presse et mon patron, en voyant ma tête, a compris que le contrat avec lequel j’aurais dû revenir n’avait pas été signé. Je suis presque certaine que le milieu dans lequel j’évolue va apprendre l’évènement et que le message est passé : n’approchez pas de trop près Elisabeth X, elle est dangereuse.
N'ayez aucune crainte vous concernant mon cher Hippolyte. Je crois plutôt que ce sera moi la violeuse. Je sais que vous n’offrirez qu’un semblant de résistance et que l’attrait de mes rondeurs vous ferons céder sans violence.
Mais changeons de sujet.
Vous n’avez pas oublié que j’aime la lecture et j’ai découvert par hasard que le prénom Hippolyte peut être porté par un homme comme par une femme. Et on peut l’orthographier de l’autre façon : Hyppolite. Mais je préfère votre prénom : Hippolyte.
Dites-moi dans votre prochaine lettre que vous m’aimez toujours et où en sont vos recherches d’emploi.
Je vous embrasse follement
Elisabeth

Cinquième lettre Elisabeth

Mon cher Hippolyte
Je ne peux pas attendre votre réponse pour vous dire ce qui m’arrive. Mon patron m’a fait comprendre que mes qualités seraient plus estimées dans un autre domaine que la mode. Ses collègues du Sentier se sont réunis après mon exploit d’avant-hier pour m’éjecter. Comme je travaillais à la commission pas de licenciement et tout le tralala administratif qui va avec. Je suis donc sans emploi et je n’ai plus que mes yeux pour pleurer. Heureusement je suis une petite fourmi et j’ai de quoi attendre quelques temps l’idée qui va me permettre de rebondir. Comme vous êtes dans la même situation que moi je suis persuadée que nous pouvons en y réfléchissant ensemble trouver une solution commune. Je ressens de plus en plus fort le besoin de vous avoir près de moi et j’ai hâte que vous me preniez dans vos bras pour me donner des forces et confiance en l’avenir. J’ai le sentiment intime que cette affaire est un don du destin car aucune solution ne serait apparue pour faire coïncider mon métier de commerciale parisienne voyageant sans arrêt et votre métier qui pourrait demain vous conduite à l’autre bout du pays. J’ai pris contact avec mon tonton de Sologne qui est prêt à nous recevoir dans deux semaines. Ne me dites surtout pas que vous êtes déjà embauché quelque part au bout du monde. J’ai besoin d’être à vos côtés très vite.
Embrassez moi très fort
Elisabeth

Sixième lettre Hippolyte

Mon Elisabeth
Vos deux dernières lettres m’ont rempli d’effroi à la première lecture et d’un fol espoir à la relecture. J’ai du mal à réaliser comment nous sommes passés d’une amitié amoureuse à un amour très fort qui ne s’est pas encore exprimé concrètement. Je crois que des ondes secrètes nous ont rapprochés et que le respect mutuel qui jusque-là nous obligeait à une certaine retenue n’a fait que renforcer une attirance magnétique inéluctable.
Je vous aime et vous m’aimez et cela devrait nous aider à trouver la solution commune à nos problèmes.
J’ai eu un entretien prometteur avec un collectionneur d’appareils photo qui souhaite éditer un catalogue de son importante collection. Rentier d’un fortune conséquente le salaire qu’il me propose ne serait pas un problème. J’ai seulement peur de m’encrouter dans un travail qui finirait par être monotone : photo des appareils, description historique, mise en page sur l’écran d’ordinateur. Un travail de bénédictin qui n’est pas dans mes ambitions.
Petit aparté : « Quand vous me parlez de Sologne je pense à mon voyage à pied lorsque j’avais quinze ans et qui m’a conduit au petit village de Bracieux entre Cheverny et Chambord. C’est un souvenir inoubliable avec celui d’Azay le rideau où j’ai passé quelques jours. »
Mais je pense plus à vous et aux problèmes que vous devez résoudre qu’à mes souvenirs d’enfance. Avez-vous une amie qui peut vous loger momentanément ?
Le problème qui m’obsède le plus c’est quelle activité pourrions-nous avoir ensemble ?
Dans l’agriculture nous n’avons aucune connaissance.
Dans la restauration non plus et à ce que je sais il y a plus d’argent à perdre qu’à gagner à moins d’avoir 3 étoiles chez Michelin.
Dans l’industrie nous ne pouvons pas espérer être embauchés ensemble.
Transformer notre château en gîte de luxe : nous n’avons pas de château et il faut être à la disposition des clients pratiquement 16 heures par jour : Difficulté à prévoir : un travail qui nous occuperait 16 heures par jour nous empêcherais d’échanger un baiser selon notre envie et nous pousserait à dormir sans geste amoureux.
J’ai bien une idée qui trottine dans ma tête mais pour vous la soumettre j’attends de vos nouvelles mais surtout le moment de vous prendre dans mes bras pour des baisers brûlants qui s’impatientent
Hippolyte