Histoires du jour

22 avril 2025 Rencontres ferroviaires

CHAPITRE 1- RENCONTRE PREDESTINEE
Cette rencontre a eu lieu il y maintenant quelques années. J’exerçais encore mon métier d’informaticien qui m’amenait à voyager dans toute la France ou presque. Je devais, le jour où cette histoire a débuté, prendre un TGV partant de Paris pour aller à Lyon ou j’avais plusieurs clients à visiter et dépanner. D’habitude j’y allais en voiture mais je voulais voir comment éviter la fatigue de la conduite en y allant en train quitte à avoir des frais de taxis. J’ai trouvé mon compartiment sans difficulté et je me suis installé, d’abord seul puis peu à peu entouré de jeunes gens turbulents mais bon, il fallait faire avec. Je dois préciser que les téléphones portables venaient de faire leur apparition : épidémie à laquelle j’avais échappé jusque-là : un téléphone permettant à mes clients de m’appeler à tout moment relevait de l’instrument de torture le plus sophistiqué, pour moi en tout cas.
Le wagon s’est rapidement rempli et dans la travée de quatre fauteuils mes compagnons furent dans l’ordre de la fenêtre vers le couloir : moi, une jeune fille, un jeune homme et une dame un peu plus jeune que moi mais guère moins. Le train n’avait pas encore quitté la gare que les deux jeunes ont sorti leur téléphone et commencé à discuter, d’abord à voix basse puis de plus en plus fort. J’avais sorti de mon sac un roman de science-fiction et peu à peu mon attention a dérivé vers le suivi de la conversation de ma voisine. La dame du quatrième siège faisait elle aussi semblant de lire mais en lui jetant un coup d’œil par-dessus le dos de ma voisine qui parlait courbée sur ses genoux j’ai bien vu qu’elle ne lisait pas plus que moi perturbée par son voisin de droite. Le voyage allait être long et pénible. Au bout d’un moment nos deux jeunes ont lié connaissance et commencé à comparer les mérites respectifs de leur téléphone : sujet de conversation qui m’a vite ennuyé. Jetant un coup d’œil à la dame du bout j’ai vu qu’elle partageait mon agacement et nous nous sommes souris, déjà un peu complices. C’est elle qui a pris l’initiative de demande aux jeunes gens de changer de place. Son initiative ma étonné mais elle m’a comblé d’aise. Ma voisine a accepté sans rechigner de prendre sa place et ma nouvelle voisine et moi nous avons fait connaissance.
- Vous devez me trouver bien hardie de vouloir me rapprocher de vous ?
- La hardiesse féminine ma ravit bien au contraire. Nous sommes dans un lieu public et votre intention ne peut qu’être honnête. Je ne vois aucun mal à ça que deux amoureux de la lecture se rapprochent et partagent leur plaisir de lire.
- Merci de ne pas mal interpréter mon initiative.
Nous sommes restés ensuite plusieurs minutes sans parler. Il nous fallait intégrer cette situation et en envisager les suites possibles.  Cette phase de réflexion passée nous avons commencé à parler littérature (elle aimait les biographies et les romans historiques et moi je préférais la littérature fantastique et les romans policiers) .et puis nous avons parlé de nos occupations professionnelles et de notre voyage à Lyon.
Avant de poursuivre il faut que je vous décrive succinctement cette charmante dame. Elle était grande, mince et distinguée mais avec une simplicité naturelle dans ses propos et son maintien. Brune aux yeux d’un bleu presque violet il émanait d’elle un charme auquel j’étais sensible sans arrière-pensée, du moins au début de nos échanges. Sa tenue était simple : pantalon et veste en Jean mais de grande marque. Le corsage boutonné haut cachait tout ce que j’aurais aimé voir. Une montre d’homme au bras gauche et 2 petites perles aux oreilles étaient ses seules parures.
Elle allait à Lyon qu’elle ne connaissait pas pour un rendez-vous commercial impromptu. Elle projetait de compléter son déplacement par d’autres rendez-vous à organiser sur place et pensait pouvoir rester plusieurs jours à Lyon. Curieux de savoir dans quel hôtel elle comptait loger (suite logique de mes réflexions hypocrites) j’ai abordé le sujet en lançant :
- Vous allez avoir du mal à trouver un hôtel ce soir car à Lyon il n’y a pas de période creuse : Les hôtels sont toujours complets sauf en périphérie. C’est d’ailleurs dans un hôtel loin du centre que personnellement je vois à chaque fois que mon travail m’appelle à Lyon. C’est à sortie de l’autoroute, à Tassin la demi-lune pour être exact.
- Vous croyez que je pourrais y trouver une chambre ?
- Je connais bien le patron de l’hôtel qui est devenu un ami. Il se fera un plaisir de vous trouver une chambre sauf s’il est parti chercher fortune ailleurs. Si son hôtel est complet il y en a deux ou trois autres dans le même coin. Vous finirez par trouver.
J’ai senti ma voisine rassurée sur ce point toujours délicat quand on voyage sans rien avoir organisé.
Nous avons repris notre conversation sur nos livres préférés. Je lui ai parlé des livres qui ont jalonné ma vie : Jean Ray peut Thomas Owen, deux auteurs belges incontournables dans le fantastique. En science-fiction après avoir fait le tour des auteurs américains Lovecraft, Isaac Asimov, ou Ray Bradbury, j’ai découvert un auteur français peu connu mais génial : Stefan Wul, Pierre Pairault de son vrai nom. A son tour elle m’a parlé de ses auteurs préférés : Colette, George Sand et Agatha Christie pour le charme inimitable de la vie anglaise.
 Elle comme moi prenions bien soin de ne pas parler de nos attaches familiales. De manière tacite pas question de parler d’épouse, époux ou enfants. Quelque chose nous en empêchait, comme une envie d’oublier le passé, d’explorer le présent pour ne penser qu’à l’avenir.
Nous avions complètement oublié nos jeunes voisins qui jouaient encore avec leurs téléphones en arrivant à la gare de Lyon-Perrache autour de 20 heures. Il ne fut pas difficile de trouver un taxi pour nous emmener à notre hôtel. Le voyage fut court car l’heure de pointe se terminait.
Dans la grande salle de l’hôtel j’ai tout de suite repéré l’horloge ancienne qui était un signal convenu. A ma dernière visite le patron m’avait dit qu’il serait encore en place si l’horloge était toujours accrochée au-dessus du comptoir de réception. Il était donc toujours là. Ses antennes avaient dû le prévenir de notre arrivée car il apparut soudainement quelques secondes après que nous ayons franchi la porte d’entrée.
- Monsieur Chlorate c’est un plaisir de vous revoir. Ne vous ayant pas vu depuis 3 mois je vous croyais passé à la concurrence.
- Comme vous voyez je suis toujours fidèle à votre établissement et je ne suis pas près de changer.
- Vous êtes venu accompagné de madame je suppose ?
- Heu... madame n’est pas mon épouse. Nous avons fait connaissance dans le train et madame n’ayant pas pu réserver de chambre d’hôtel je lui ai proposé de m’accompagner car j’ai supposé que vous auriez peut-être des chambres de libres.
- Excusez-moi, je suis un gros balourd. Effectivement il me reste 2 chambres mais dans un autre pavillon que le vôtre. Zut, je faute encore…
Nous éclatâmes tous les trois de rire car c’était la seule solution pour oublier l’instant de gêne qui nous avait saisis.
Après avoir rempli les fiches traditionnelles chacun a rejoint son pavillon après nous êtes donné rendez-vous pour dîner.
Je suis descendu le premier dans la salle du restaurant et Daniel, le patron est venu me rejoindre pour s’excuser. Je l’ai rassuré en lui laissant entendre que peut-être il n’était pas très loin d’avoir deviné sinon du présent mais peut-être des événements en devenir. Nous avons parlé de nos activités personnelles puis bien vite de ce qui nous passionne. Daniel est un collectionneur d’horloges, de pendules et de montres anciennes, d’où la présence dans le hall de la superbe pendule que j’avais remarquée lors de ma première nuit dans son hôtel. Il me montra sa dernière acquisition : une superbe montre de gousset en or avec complications. Nous étions tellement absorbés par l’examen du mécanisme de la montre que nous n’avons pas vu arriver ma voisine du train. C’est elle qui nous informa de sa présence :
- Alors les gamins on s’amuse bien avec ce joujou à égrener le temps ?
Bien entendu nous avons bafouillé de plates excuses. Daniel a cédé sa chaise à ma belle brune qui s’est installée sans façon et en prenant l’initiative annonça :
- Permettez-moi de me présenter : je m’appelle Elisabeth et je tiens à ce que nous partagions les frais de ce repas. Cela va vous éviter de fantasmer inutilement.
Je suis resté sans voix un instant. La douche froide était bien froide.
 
- Je m’appelle Hyppolite et je reconnais que mon intention était bien de vous inviter à ce repas mais je m’incline et je vais garder mes fantasmes pour une autre occasion ou une autre femme moins rebelle.
- Je ne suis pas rebelle mais il me faut toujours observer et juger avant de laisser ma nature me guider une conduite.
Cette réponse me rassura un peu en laissant à mes idées salaces un léger espoir.
- Si nous examinions le menu ?
Le restaurant s’étant presque vidé de ses commerciaux et touristes fatigués d’un long voyage ou d’une dure journée. Daniel était resté à l’affût et se précipita pour nous conseiller sur ce qu’il pouvait encore demander aux cuisines à cette heure-là. Il pouvait nous faire soit une belle omelette aux herbes, soit une bavette à l’échalote avec entrée et desserts du buffet. Elisabeth choisit l’omelette et après une hésitation je pris la même chose bien que la bavette me tentât beaucoup. La conversation reprit laborieusement. Elisabeth me parlait de son métier entre deux bouchées et me jetait souvent un coup d’œil brillant de malice.
- Ne faites pas cette tête-là Hyppolite. Vous avez l’air d’un chien battu par sa méchante maîtresse. Faites-moi un grand sourire et dites-moi que vous m’aimez un peu malgré ma réticence à satisfaire vos fantasmes.
Je suis parti à rire tellement j’étais surpris par la volte-face d’Elisabeth qui en fait n’en était pas un. Je compris qu’elle avait forcé le trait pour m’amadouer et me sortir de ma bouderie.  Le repas continua dans une ambiance de plus en plus amicale et chaleureuse Nous étions comme deux amis qui démarrent un projet secret encore balbutiant peut-être mais dans lequel nous allions projeter toutes nos forces. Chacun essayait de découvrir chez l’autre les forces propres à soutenir le projet et les faiblesses capables de le faire capoter. Cette analyse de ces premiers échanges ne m’est venue à l’esprit que bien plus tard en réfléchissant à ce que nous avions fait de ce projet encore à créer. Elisabeth ne s’attarda pas et rejoignis sa chambre après un bonsoir joyeux. Daniel revint aussitôt et pris sa place.
- Alors échec et mat ?
- Pas si vite Daniel, juste échec. L’avenir me semble prometteur à condition d’être patient et que mon profil s’intègre dans sa vision des hommes. Ce n’est pas gagné je te le concède mais rien n’est perdu et c’est peut-être mieux ainsi. Ressors-moi ta montre que je finisse de l’admirer. Nous passâmes un bon moment à parler de montres et de son avenir dans l’hôtellerie. Je suis allé me coucher l’esprit assez confus je dois l’admettre.
Le lendemain matin je ne vis personne, pas plus Daniel qu’Elisabeth. Je suis redevenu le professionnel en voyage d’affaire et je suis descendu à Lyon en taxi. Mes clients me virent arriver avec plaisir et je réussis à régler les problèmes de logiciels récalcitrants sans y passer trop de temps. Un logiciel récalcitrant est un logiciel dans lequel un bug coriace se cache et fait dire au client que rien ne marche et que le délai de règlement de la facture mettra autant de temps à se régler que celui passé à trouver l’erreur. J’ai fini ma journée avec deux chèques propres à calmer ma banquière. Je suis rentré à l’hôtel avec l’espoir de revoir Elisabeth mais Daniel ne l’avait pas encore vue arriver. Il me rassura en me disant qu’elle n’avait pas payé sa note et que son sac de voyage était bien resté dans sa chambre. Elle arriva peu de temps après la mine renfrognée. J’en conclus que ses affaires s’étaient bien moins conclues que les miennes et cela fit baisser d’un cran mes projets vers le râteau pour mes ambitions de la soirée Quand Elisabeth descendit au restaurant son premier mot fut :
- Hyppolite, offrez-moi l’apéritif, j’en ai besoin. J’ai les nerfs en pelote.
Je m’empressais avec déférence comme devant une déesse prête à me fouetter pour avoir médit des dieux. Un copieux Martini-gin lui redonna presque le sourire et elle me raconta sans détails inutiles les déboires de sa journée. J’en conclus qu’elle avait un esprit bien organisé, le sens de ses affaires et de la riposte rapide quand on l’agresse.
- Hyppolite, il faut que nous fassions quelque chose ensemble.
- ????
- Et ce n’est pas ce à quoi vous pensez espèce d’obsédé sexuel.
- Mais je ne pense à rien votre altesse, j’attends vos ordres et je suis prêt à me soumettre à toutes vos volontés.
- Hyppolite, j’en ai marre du commerce, de la mode, des architectes d’intérieur, des designers et des financiers pourris jusqu’à la moelle. J’ai compris aussi que l’informatique et les clients jamais contents vous bouffaient la santé. Il faut changer, faire autre chose, vivre enfin ce pourquoi nous sommes faits.
- Oui mais quoi votre altesse ?
- Arrêtez donc avec votre altesse qui pue l’obséquiosité d’un courtisan débile et servez-moi à boire.
- Tout de suite votre… Elisabeth.
Elisabeth sirota son deuxième verre dans un silence presque religieux. De temps en temps elle me regardait comme si j’étais un cheval de course (de trot plutôt) à acheter.
- Que pensez-vous des hommes politiques ou du show-biz qui profitent de leur pouvoir pour abuser des jeunes femmes qu’ils côtoient où qu’ils emploient ?
- Je trouve cela ignoble madame le juge et je pense qu’un séjour en prison à se faire défoncer par des codétenus leur ferait le plus grand bien.
- Bien parlé Hyppolite mais savez-vous que la plupart de ces individus ne vont pas en prison grâce à l’argent qu’ils proposent à la victime pour la faire taire et qui parfois accepte ou des avocats efficaces et des délais de prescriptions dépassés la plupart du temps.
- Et alors, que peut-on faire madame le juge ?
- Je m’appelle Elisabeth et votre « madame le juge » commence à me gonfler sévère petit homme. Reprenons sur de bonnes bases. Nous allons nous occuper d’eux Hyppolite.
- Heu… pourquoi pas mais comment ? Je ne suis pas indifférent au problème, bien au contraire. Je connais la sœur d’un collaborateur qui a laissé entendre à son frère qu’elle avait été violée par son patron. Elle ne veut rien dire de plus malgré l’insistance de son frère. Mais je ne vois pas ce que je pourrais faire.
- C’est bien là le problème : D’un côté il est quasiment impossible de punir ces malfaisants et d’autre par les victimes d’agressions sexuelles ont peur des conséquences d’un dépôt de plainte. Et ça je ne le supporte pas. Allons manger car l’apéritif m’a donné faim.
Nous avons rejoint une table loin des autres clients et nous avons commandé notre repas au serveur de la maison, Daniel étant pris à la réception par de nouveaux clients.
Nous avons abordé le repas en silence, chacun réfléchissant aux propos tenus à l’apéritif. De mon côté je ne voyais pas de moyen pour punir un violeur quel qu’il soit en-dehors d’une procédure judiciaire. Je devinais qu’Elisabeth, par contre, ruminait un tas d’idées criminelles. Il n’était pas difficile de trouver pourquoi elle avait abordé ce sujet dès son arrivée à l’hôtel. Elle avait dû subir une tentative de viol dans la journée. Je suis presque certain qu’elle avait su se défendre mais cette agression qui ne devait pas être la première l’avait mise en rage. Je laissais passer les minutes sans rien dire, me concentrant sur mon assiette. A bout de patience je m’enhardis à poser la question qui me taraudait.
- Elisabeth, votre vision des hommes a été sérieusement bousculée aujourd’hui ?
- Exact Hyppolite et l’enfant de salaud qui en a été la cause doit s’en mordre les doigts ce soir. Je lui ai fait comprendre qu’il s’était trompé sur mon compte et qu’une fourchette dans les yeux pouvait faire très mal très longtemps. Il n’y a que ça qu’ils comprennent ces salauds, la force. Il faudrait que les filles apprennent à se défendre, à se battre sans arme autre que leurs poings ou leurs pieds. Mais la force ne suffit pas. Elle ne doit apparaître qu’en dernier ressort car la conséquence est forcément la perte de l’emploi. Il y a mieux à faire. Bien souvent ces individus sont riches, ont une position sociale à laquelle ils tiennent. C’est par là qu’il faut les attaquer. Qu’en pensez-vous ?
- Honnêtement je ne pense à rien, comme ça brutalement. Actuellement je suis en position de spectateur, ému par votre aventure mais sans idées sérieuse pour combattre ce fléau. Il faut que vous me laissiez un temps de réflexion.
- Je vous comprends Hyppolite mais j’aimerais beaucoup attaquer ce problème avec vous. Ne me demandez pas pourquoi. C’est instinctivement que je vous crois capable de m’aider dans le projet que je sens inévitable. Quel projet ? Je ne sais pas encore. Une école certainement pour former des jeunes filles mais cela ne me suffit pas. Des actions coup de poing peut-être mais c’est encore très flou. Il faut faire quelque chose, ça j’en suis sûr. Mais parlons d’autre chose si vous le voulez bien.
Je lui ai raconté brièvement ma journée mai surtout des anecdotes anciennes liées à mon métier. Je commençais par le souvenir le plus ancien : une secrétaire d’un client à qui j’avais conseillé de ranger ses disquettes dans un classeur m’avait appelé quelques jours plus tard en me disant que plus rien ne marchait. En soupirant j’ai pris mes disquettes de sauvegarde et je me suis rendu à Puteaux, lieu des exploits de la belle Laura. Elle me montra, toute fière le classeur où elle avait rangé ses disquettes. Croyant bien faire elle avait perforé les disquettes de 2 trous bien alignés. C’est tout juste si je ne me suis pas fait engueuler pour n’avoir pas précisé la façon de classer les disquettes. Chez un autre client on m’appela pour me dire que chaque matin l’ordinateur refusait de démarrer avant 9 heures mais qu’après 9 heures il démarrait sans problème. Le frère du patron, medium, sourcier, essaya de me convaincre qu’un mauvais esprit s’était emparé de la machine. J’avais du mal à accepter ses conclusions mais je n’avais rien à lui opposer jusqu’à ce qu’une des secrétaires me signale que tout près du bureau se trouvait une fonderie qui démarrait tous les matins à 8 heures ; C’est l’appel du courant qui faisait baisser la tension électrique de manière importante. Ce fut une belle occasion pour moi de proposer l’achat d’un onduleur. Quelques autres anecdotes finirent par dérider ma belle brune. Elle me demanda si j’avais fait beaucoup de conquêtes parmi mes clientes. A ma grande honte je lui avouais que j’avais toujours été repoussé comme un dragueur pénible et même comme un être malfaisant ou au contraire que je n’avais pas su exploiter des invitations que je n’avais pas comprises sur le coup. C’était là mon plus grand remord : m’être fait draguer et ne pas avoir su en profiter.
- ça ne m’étonne pas de vous Hyppolite : vous me semblez un grand rêveur qui ne voit le monde qu’à travers vos livres et votre ordinateur. Si un jour je décide de vous draguer je vous assure que vous comprendrez vite le message petit homme.
Sur ces mots Elisabeth se leva de table et nous nous séparâmes pour aller dormir, sans arrière-pensée.
Le lendemain matin nous nous sommes retrouvés au petit déjeuner et j’ai exposé sans attendre les idées qui avaient germé dans mon cerveau toujours à l’affût d’idées saugrenues.
 - Ma chère amie j’ai réfléchi à votre problème et quelques idées ont germé dans mon cerveau d’obsédé sexuel frustré. Nous allons commencer par créer une école de self défense pour les jeunes filles ou femmes qui sont conscientes des dangers qu’elles courent. J’ai un ami qui gère une salle de sport et qui a du mal à boucler les fins de mois. Ce créneau devrait l’aider à se remettre à flot. Pour financer cette école nous allons rançonner quelques patrons du show-biz. Je sais, faire chanter des gens ce n’est pas bien mais l’objectif poursuivi nous y autorise. Une fois nos jeunes élèves formées nous allons leur dévoiler notre projet réel : Elles devront aguicher des cibles potentielles, nous tendrons avec leur aide un piège et grâce à des photos et vidéo volées faire chanter puis abattre nos victimes. Sur le nombre certaines refuseront de jouer notre jeu mais il nous suffit de deux ou trois pour pouvoir commencer notre action.
Elisabeth me regarda toute ébahie.
- Et qu’est-ce que je fais, moi dans tout ça ?
- Vous aller jouer le premier rôle donc le premier appât. Avec mon aide bien entendu. Je résume ;
- Nous piégeons notre première victime grâce à vous et avec la rançon nous finançons notre école. Quelques filles de l’école motivées nous trouvent d’autres proies qui nous fournissent de quoi financer les frais d’avocat des victimes qui vont adhérer à l’association que nous allons monter. Faut affiner bien entendu.
- Ben mon colon !! Comme aurait dit mon cher papa, pour un rêveur mon cher Hyppolite vous n’êtes pas manchot quand vous vous y mettez. Si nous prenions le même taxi pour descendre à Lyon ? Nous pourrions continuer cette intéressante conversation.
La conversation nous permit d’arriver au centre de Lyon sans grogner contre les bouchons et sans écouter le chauffeur du taxi qui nous prenait pour des touristes. Mais il ne sortit rien de cette conversation car nous étions comme devant une grosse pièce montée que nous ne savions pas comment découper. Il faut avouer aussi qu’Elisabeth n’était pas en pantalon ce matin-là et que ses genoux captivaient mon regard plus que nécessaire. Elle semblait ne pas s’en apercevoir ce qui m’étonna un peu. Elle quitta le taxi dans le quartier des soyeux à la Croix Rousse. Je continuais vers Vaulx-en-Velin ou j’avais mon client prévu pour la journée. C’était une journée qui ne me laissait pas le temps de penser à notre projet. Chez ce client le travail s’arrêtait à 11heures 30 pour passer dans la salle bistrot pour ensuite déjeuner dans un bon restaurant. L’après-midi était un vrai calvaire car il fallait évacuer les lourdeurs de l’alcool et quand même résoudre les problèmes en cours. J’y suis arrivé dans un délai raisonnable. Le comptable de la société devenu un ami m’invita à dîner chez lui ce que je refusais en lui parlant d’un rendez-vous galant auquel je ne croyais pas. Il me raccompagna néanmoins à mon hôtel qui se trouvait sur son chemin de retour. Elisabeth n’était pas revenue et je savourais un grand verre d’eau à bulle en discutant avec Daniel. Daniel, outre sa passion pour l’horlogerie s’intéressait beaucoup à la politique locale et était au courant des ragots qui circulaient sur les uns et les autres. Je n’ai pas eu besoin d’orienter la conversation vers le sujet qui m’intéressait. Il me raconta que le député de la troisième circonscription, patron d’une grosse entreprise pharmaceutique avait des comportements assez malsains envers les femmes. Je n’eus aucun mal à lui faire dire tout le mal qu’il pensait de cet individu. Je récoltais au passage quelques informations sur sa situation financière. Elisabeth nous rejoignit alors que la conversation avait tourné vers des sujets plus anodins. Elle semblait de meilleure humeur que la veille et nous primes l’apéritif, léger pour moi, en parlant de nos journées respectives. C’est pendant le repas que je lui appris tout ce que Daniel m’avait raconté sur une proie possible pour notre projet.
- J’ai réfléchi à votre idée Hyppolite mais je ne vois pas encore quels rôles nous pourrions jouer pour faire fonctionner le projet. D’un côté il faut piéger le salaud dont nous connaissons le vice et ensuite il faut exploiter les infos récoltées pour le faire payer sans tomber nous-mêmes dans le piège.
- Je suis comme vous me chère Elisabeth. Il faut continuer à rassembler les armes, les moyens. Je pense par exemple à des neveux de mon épouse qui sont dans la police et dans le département qui traque les terroristes. Ils pourraient nous aider par des écoutes téléphoniques.
- Vous êtes marié Hyppolite ? Vous me décevez grandement. Non seulement marié mais prêt à la tromper sans vergogne.
- Vous êtes célibataire vous Elisabeth ?
- Non, je suis mariée moi aussi mais je ne drague pas, moi...
- Ah ! Bon, j’aurais pourtant cru…
Un éclat de rire général mit fin aux questions embarrassantes.
- Le mieux serait que nous réfléchissions chacun de notre côté et que nous fassions le point dans quelques temps. Pour garder le contact il nous faudrait des téléphones mobiles différents de nos téléphones habituels.
Elisabeth accepta ma proposition et nous avons décidé de nous retrouver le lendemain dans un magasin pour acheter deux téléphones avec des cartes SIM prépayées.
Le lendemain matin, en payant ma note à Daniel j’eus droit à la question que j’attendais : « Alors Hyppolite on a bien dormi dans sa petite chambre du pavillon Les lilas ? »
- Mon cher Daniel j’ai très bien dormi mais seul. Et oui, il faut savoir attendre et je vous parie que lors de notre prochain passage, si Elisabeth est avec moi que vous ne louerez qu’une chambre. Petit bénéfice pour vous mais grande joie pour nous.
 
CHAPITRE 2 -PROJET ET CONFIDENCES
Je suis rentré à Paris le cerveau en ébullition. Je naviguais entre, oublier Elisabeth et reprendre mes activités habituelles, et tout balancer pour courir l’aventure avec Elisabeth dont le visage, mais pas que, m’obsédait.
Je retrouvais sans joie mon épouse dont les qualités s’accordaient de plus en plus mal avec mes défauts. Je retrouvais mes clients de plus en plus exigeants et pingres et je retrouvais mes collaborateurs de plus en plus apathiques. Dans les semaines qui suivirent un gros client souhaitant diversifier ses activités me proposa d’acheter ma société à un bon prix en précisant que c’étaient les deux créneaux qui faisaient l’essentiel de notre chiffre d’affaires c’est à dire les experts-comptables et les petits artisans plus les compétences de mes collaborateurs sur internet qui l’intéressaient. Je ne mis pas longtemps à me décider. L’affaire fut conclue à un bon prix et je me suis retrouvé à la tête d’un capital que je n’avais jamais espérer posséder. Mon épouse, que j’avais tenue à l’écart de mes négociations choisit ce moment pour aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte et demanda le divorce. Elle devait en avoir assez de me voir consacrer plus d’énergie au travail qu’a elle et mes activités à la marge de mes voyages ne lui avaient pas échappé. Les nouvelles lois sur le divorce rendant celui la plus rapide firent que je me suis retrouvé libre comme l’air en quelques semaines. Je mis un certain temps à organiser cette liberté nouvelle. J’ai quitté Paris sans regret et j’ai loué un petit appartement dans la banlieue du Mans. J’eus d’abord du mal à me lever tard sans avoir besoin de l’alarme du radio réveil. Il me fallait occuper mes journées et je me sentais comme en pays étranger, sans rapport ni lien avec un nouvel environnement. Sortir de chez moi à pied fut une découverte et un plaisir intense. J’allais chaque matin au bistro[1] du coin boire un café et lire le journal local que je découvrais. Les après-midis me virent retourner à la médiathèque qui n’avait plus rien à voir avec les bibliothèques municipales que j’avais connues des années auparavant. J’ai même visité le musée archéologique de la ville. Chaque jour je faisais une nouvelle découverte : le jardin municipal ou le chemin de halage avec les bonnes odeurs de l’eau se glissant paresseusement sous les jupes de nénuphars. Une nouvelle vie commençait. Pendant tout ce temps les échanges téléphoniques avec Elisabeth s’étaient maintenus au niveau de l’échange de banalités classiques entre deux personnes que rien ne rapprochait. Le projet n’avait évolué ni d’un côté ni de l’autre, nous n’en parlions presque plus. Je ne voulais rien lui révéler de ma nouvelle vie sans l’avoir d’abord apprivoisée et décidé de ce que je voulais en faire. J’ai cru un moment que l’écart entre elle et moi allait se transformer en gouffre quand le miracle arriva sans prévenir.
- Allo, Hyppolite ?
- Oui, bonjour Elisabeth, je suis là et je vous écoute avec une joie que vous ne pouvez pas imaginer.
- Tiens, donc, de bonnes nouvelles à m’annoncer ou seul le son de ma voix vous fait cet effet ?
- Oui, de très bonnes nouvelles mais je ne vous en ferai part qu’en tête à tête et votre voix est à mes oreilles douce comme un loukoum. Et de votre côté, que me vaut le plaisir de vous entendre ?
- Je suis dans votre ville demain pour plusieurs jours. Pourrait-on se voir ? Si cela vous fait plaisir bien entendu.
- Cela me fait plus que plaisir, cela me ravit et votre arrivée vient à point. Mais où, quand, comment ?
- J’ai retenu une chambre au Novotel ou doit se tenir la présentation de la nouvelle collection. Je vous propose de se retrouver au bar vers 20 heures. Vous pourrez vous libérer ?
- Pas de problème, je serais là à vous attendre tremblant comme un puceau à son premier rendez-vous.
- Du calme petit homme, bonne journée et à demain.
Je mentirais en disant que ma nuit fut paisible et que la journée du lendemain démarra sans mille questions. Comment allais-je m’habiller ? Décontracté jeune ou décontracté vieux ? Avec ou sans cravate ? J’insiste pour l’inviter ou on partage le repas comme à Lyon ? Et après le repas, hein ? Après ? Je verrais bien le moment venu. Il ne restait plus qu’à passer le temps en attendant 20 heures. J’ai donc marché et orienté mes pensées vers le paysage, les chiens rencontrés. J’ai croisé beaucoup de gens dont j’ai cherché à imaginer la vie, les préoccupations. Pour certains c’était facile comme la vieille dame qui part faire ses courses avec son cabas et sa canne. Pour la jeune femme courant après le bus qui est parti sans l’attendre, toutes les histoires imaginaires étaient possibles : allait-elle rater l’entrevue d’embauche qu’elle attendait depuis des mois ou serait-elle simplement en retard chez sa coiffeuse ? Mais la finesse de ses jambes et son dos cambré me disaient plus de choses que mon imagination. Elle s’était immobilisée soudainement et quand je l’ai doublée elle m’a arrêté pour me demander l’heure. Le son de sa voix criarde m’a fait retomber sur terre et piétiner mes idées salaces.
L’heure du rendez-vous est arrivée. J’aurais pu aller à l’hôtel à pied mais j’ai pris mon auto, au cas où. Comme à chaque rendez-vous important je suis arrivé en avance et j’ai de façon très hypocrite commandé un verre d’eau gazeuse au bar. Ce n’était pas le moment d’avoir une haleine de poivrot. A huit heures cinq j’ai commencé à m’impatienter, à dix je pianotais sur le bar et à quinze mon désespoir commençait à poindre le bout de son nez. Et puis elle est arrivée, un peu essoufflée ce qui donnait à son corsage un relief ondulatoire saisissant. Comme une bonne camarade elle me claque une bise sur chaque joue, ce qui me ramena à un niveau de sérénité absolument délicieux.
- Bonjour Hyppolite, vous m’avez l’air en pleine forme. Laissez-moi vous regarder. Regard clair, peau fraîche, vous avez rajeuni de 10 ans. Comment vous faites ? Moi je me sens plus vieille de 10 ans. Je dois être affreuse. J’ai eu une journée plus que fatigante. Offrez-moi un verre et racontez-moi votre nouvelle vie car je devine à vous regarder que ce changement est d’importance, je me trompe ?
- Et non ma chère Elisabeth, vous avez deviné juste. J’ai changé de vie et vous allez bien aimer ce que je suis devenu. Que voulez-vous boire ?
- Un gin tonic avec peu de gin, je dois me surveiller.
J’ai commandé 2 gins tonic et je lui ai raconté ce qui avait changé dans ma vie : la vente de la société, mon divorce en cours et le vide cotonneux dans lequel je nageais faute d’avoir lancé un nouveau projet.
- Je compte sur vous pour me sortir de ce coton.
- Mais c’est formidable ce que vous me racontez là ! Si vous n’avez plus d’idées, j’en ai plein car j’ai réfléchi entre deux voyages à nos projets de Lyon et c’est pour cela que je voulais vous voir mon cher Hyppolite. Vous m’emmenez dîner quelque part ?
Évidement je n’avais pas pensé à retenir une table dans un restaurant de la ville. Mais nous étions un soir de milieu de semaine et j’avais mon auto. Nous sommes allés nous garer près de la cathédrale à deux pas d’une rue où les restaurants se tassaient comme des sardines en boîte. Nous avons trouvé une table au deuxième essai dans un restaurant où le nombre de clients présents assurait de la bonne tenue de l’établissement. Il ne restait qu’une table près de la porte des cuisines ce qui ne nous enchantait pas mais la carte de poissons nous avait emballés. En sirotant notre flûte de champagne qui fêtait nos retrouvailles Elisabeth me raconta les péripéties récentes de sa vie toujours aussi trépidante. A l’inverse de moi elle n’avait pas encore trouvé le moyen d’y échapper et elle ressassait les projets les plus saugrenus. Ils commençaient tous par un divorce, puis selon l’humeur, un voyage autour du monde ou le braquage d’une banque. Quant à notre projet esquissé à Lyon elle ne voyait pas plus que moi comment le démarrer.
Laissons tomber pour l’instant lui dis-je. C’est lorsque nous n’y penserons plus que la bonne idée arrivera. En attendant je vais vous raconter comment j’ai failli me faire dépuceler à 15 ans.
-        Pas possible, vous Hyppolite vous avez laissé passer cette occasion ?
-        Et oui, et aujourd’hui encore j’y repense en me traitant d’imbécile irrécupérable. Mais je dois vous raconter dans quel cadre cela s’est produit et pourquoi je n’ai pas profité de l’occasion.
J’avais donc 15 ans et c’était ma dernière année de colonie de vacances. Depuis l’âge de 8 ans j’allais tous les ans en colonie de vacances organisée par le comité d’entreprise où travaillait mon père. Tous les ans je retrouvais les mêmes camarades dont Nicole dont j’étais forcément amoureux, platoniquement bien entendu. J’étais surtout passionné par les animaux, la collection d’insectes que j’avais commencée et le sexe me laissait complètement indifférent. Donc un matin une des monitrices est venue me chercher en me proposant une balade dans la forêt toute proche. Je n’y ai pas vu malice. Nous avion à peine fait une centaine de mètres qu’un aigle est passé au-dessus de nos têtes avec le bruit du souffle de l’air sur ses ailes. J’étais ébahi, émerveillé par ce superbe oiseau. Nous avons marché encore un peu et la monitrice m’a proposé de nous arrêter. Elle s’est allongée sur l’herbe et m’a demandé de venir à son côté. Je n’ai rien compris de ses intentions et j’ai continué à parler de l’aigle. Elle a vite déduit que moi je n’avais rien compris et nous sommes redescendus vers la colonie. J’ai retrouvé les copains, Nicole et je leur ai raconté l’épisode de l’aigle volant au ras de nos têtes. C’est seulement quelques années plus tard que j’ai réalisé l’occasion que j’avais laissé passer car il y a eu d’autres occasions du même genre qui se sont conclues de la même manière.
-        Mais Hyppolite vous êtes un pur chef d’œuvre d’innocence ?
-        Hélas plus du tout aujourd’hui. Mais cette histoire me donne un point de départ pour l’idée que nous cherchons.
-        Nous savons aujourd’hui que les femmes agressées se défendent, portent plainte et avec les réseaux sociaux commencent à former une communauté forte et efficace.
-        Mais qu’en est-il des enfants placés en colonie de vacances avec des moniteurs mal formés, mal payés et dont certains se comportent comme la monitrice de mes 15 ans ?
-        N’y a-t-il pas là un créneau ou nous pouvons intervenir et forcer les fauteurs à changer de comportement ?
-        Mouais, c’est gentil mais ça ne rapportera pas un kopek votre histoire. Par contre, j’ai également fait fulminer mes neurones et je crois avoir trouvé un projet fiable et rentable.
-        Ne me faites pas languir, racontez-moi ce projet.
-        Je n’en suis qu’au début des prémices car il y a encore pas mal de choses à mettre au point. L’idée part du constat suivant : L’Europe comprend plusieurs organismes : Le Parlement européen, le Conseil de l’Europe et la Commission européenne. Tout cela est composé d’hommes et de femmes politiques aux ambitions sans limites et donc la proie permanente d’aigrefins, catégorie d’individus dont je vous propose de faire partie. Vous savez qu’il y a déjà une quantité importante de lobbyistes au milieu desquels nous passerons inaperçus. L’objectif étant de piéger les hommes politiques de cet ensemble et d’en tirer le meilleur profit, profit qui nous permettra de financer un projet que je n’ai pas encore défini et c’est sur vous Hippolyte que je compte pour trouver la solution.
-        Bien trouvé Elisabeth, votre projet me rappelle celui de deux amis qui ont failli enterrer le forum de Davos. Je sens qu’on approche du but dont nous avions parlé à Lyon.
-        Comme ça, sans réfléchir, voilà l’idée : vous vous faites habiliter par un syndicat agricole écologique. Ce sera d’autant plus facile que pour eux l’Europe est inaccessible et ils seront ravis de vous confier ce rôle de lobbyiste... Normalement un lobbyiste doit se déclarer à l’autorité compétente mais beaucoup ne le font pas. Une lobbyiste écolo fera plutôt sourire et si en plus c’est une jolie femme quelle proie facile pour un député sexuellement insatisfait.
-        C’est moi la proie facile ?
-        C’est un rôle de composition à jouer Elisabeth voyons.
-        Et vous Hippolyte vous jouez quel rôle dans cette affaire ?
-        Je suis votre chauffeur, secrétaire, muet et aveugle.
-        Ça se tient. On en reste là pour ce soir car en y réfléchissant chacun de notre côté nous allons bien trouver un plan d’action qui tienne la route.
-        Comment ça chacun de notre côté ? J’envisageai une fin de soirée plus intime, pas vous ?
-        Pas ce soir Hippolyte, je suis fatiguée…
-        Et vous avez la migraine, je comprends…
-        Tout doux petit homme, de mon côté je sens mes sentiments avancer à grands pas vers les vôtre. Mais encore un peu de patience.
J’ai reconduit Elisabeth à son hôtel et nous nous sommes quittés avec un baiser sur la joue qui au lieu de me vexer me fit très plaisir. J’ai senti à ce moment-là qu’une grande amitié venait de naître et je suis rentré me coucher le cœur apaisé et l’esprit clair. J’étais certain de faire aboutir le projet naissant.
 
CHAPITRE 3 – ECHEC DU PROJET
La nuit a été tumultueuse : partagée d’un côté par l’inanité de notre projet me paraissait de plus en plus évidente et j’en ai conclu qu’il fallait arrêter de fantasmer dessus. D’un autre côté Elisabeth avait pris la place du projet avec des perspectives plus réjouissantes.
Je me suis donc levé l’esprit clair et dès que l’heure m’a semblé raisonnable j’ai appelé Elisabeth pour lui proposer de se revoir avant qu’elle ne reparte.
-        Bonjour Elisabeth je ne vous réveille pas trop tôt ? Avez-vous aussi mal dormi que moi ?
-        Effectivement j’ai mal dormi également et trop d’idées se bousculent dans ma tête. Hippolyte, j’allais moi aussi vous appeler. Je n’ai des rendez-vous que cet après-midi. Pouvons-nous déjeuner ensemble dans un restaurant loin du centre-ville ?
-        Je m’en occupe et je passe vous prendre (quelle mauvaise expression) vers midi à votre hôtel.
J’ai fouillé dans mes souvenirs pour trouver l’auberge qui conviendrait le mieux à notre rendez-vous. J’en choisi une où je n’avais jamais invité une de mes conquêtes, peu nombreuses heureusement. Un coup de téléphone m’a rassuré, l’auberge se trouvait à quelques kilomètres de l’hôtel ou Elisabeth avait passé la nuit.
La bise amicale que nous avons échangée me remplit de bonheur et je vis à son sourire qu’Elisabeth ressentait la même chose que moi. Nous nous sentions bien ensemble. Nous avons roulé sans parler de notre projet, seulement sur nos goûts culinaires qui différaient peu.
Nous avons pris le même Martini-gin que celui que nous prenions à Lyon en parlant de mon ami Daniel. Après avoir choisi les menus c’est Elisabeth qui aborda la première le sujet de nos préoccupations.
-        Hippolyte notre projet ne tient pas debout. Nous avons raisonné comme deux ados en mal d’aventure. Je n’ai plus l’âge de prendre des risques pour des bénéfices illusoires. Je veux du calme et encore du calme avec juste de quoi occuper mon esprit.
-        Je suis arrivé au même constat que vous. Et s’attaquer aux politiciens véreux de l’Europe c’est comme le châtiment de Sisyphe : la pierre retombera toujours. Moi aussi j’ai besoin de calme avec un projet qui m’enthousiasme sans me faire courir des risques inutiles.
-        Avant de poursuivre j’aimerais poser ma main sur la vôtre, est-envisageable ?
-        Avec plaisir Hippolyte, du moment qu’elle reste à sa place.
-        Merci Elisabeth, votre peau est délicieuse. Bon maintenant j’ai une idée à vous soumettre. Cette idée m’est venue pendant mes visites à la médiathèque et en me promenant sur les berges de la Sarthe. J’ai admiré les joutes amoureuses des colverts. Avez-vous remarqué que chez les oiseaux ce sont toujours les mâles qui ont le plus beau plumage mais ce sont toujours les femelles qui choisissent le mâle le plus beau. Mais revenons à l’idée qui m’est venue : Vous avez lu les lettres de madame de Sévigné comme moi mais reconnaissez qu’elles avaient un défaut majeur : il n’y a pas d’échange. Je verrai bien écrire avec vous un livre de lettres entre une femme et un homme qui ne se connaissent que par l’écrit. Presque chaque jour nous échangerions des pensées, des souvenirs. Chaque lettre serait une réponse à la lettre reçue. Il y aurait des quiproquos, des bouderies, des excuses, des renvois d’ascenseur. 
-        Super, j’adore écrire et cette idée me plait bien mais il y a un hic : de quoi allons-nous vivre pendant ce temps ? Moi je peux continuer un certain temps mon travail d’agent commercial chic mais j’aimerais trouver autre chose sans les risques rencontrés comme à Lyon. Mais vous Hippolyte vous vivez actuellement sur l’argent de la vente de votre société mais ça ne peut pas durer infiniment.
-        Vous avez raison et je vais chercher un poste de chef de service informatique dans une grosse boîte genre assurance ou groupement d’entreprises. Bien évidemment mon rêve serait que nous trouvions chacun un travail qui nous rapproche nous permettant éventuellement de partager le même logement.
-        Pop, pop, pop, petit homme, je trouve que vous allez bien vite à la solution qui permettrait à vos besoins érotiques de s’épanouir. Depuis un moment je vous trouvais bien timoré dans vos approches. Vous revenez à la charge ? Quoi qu’à la réflexion, pour être honnête, ça me plairait bien aussi mais attention, chacun chez soi. Mais nous n’en sommes pas là. Resservez-moi un verre de Bordeaux pour me remettre d’avoir avoué mes sentiments. Moi je ne crois plus aux miracles. Trouvez un emploi bien payé en CDI, au fait ça veut dire quoi CDI ? contrat à durée infinie ?
-        Non c’est un contrat à durée indéterminée.
-        Je ne vois pas la différence : l’infini est bien indéterminé ?
-        Vous ne voyez peut-être pas mais dites à un agent de France Travail (ex Pôle Emploi) que vous cherchez un travail à contrat à durée infinie et vous serez surprise de la réponse.
-        Bon d’accord. Je sens que nos échanges épistolaires vont être acidulés certaines fois. On revient donc au point de départ : Vous cherchez et trouvez un emploi bien payé dans une cité pas trop moche. De mon côté j’essaye de prouver à mon employeur actuel que je ne suis pas obligée d’habiter à sa porte. Avec une ligne fibre optique, une box, les mails et le téléphone on doit pouvoir s’arranger. Avec de la chance, de la patience, de la persévérance peut-être qu’un jour quand nous aurons approché l’âge de la retraite pourrons-nous travailler sinon habiter proches l’un de l’autre. D’ailleurs pourquoi on ne dit pas « l’une de l’autre » ?
-        Je vous sens pessimiste Elisabeth. Il y a peu de temps vous vous sentiez capable de monter à l’assaut de l’Europe at aujourd’hui vous ne voyez que des difficultés à la réalisation d’un projet tout simple.
-        Projet qui concerne aussi 6 millions de chômeurs qui ne trouvent pas de travail en passant. Tiens j’ai aussi une idée. J’ai un tonton qui possède un manoir en Sologne et qui vit seul. Tous les ans à son anniversaire je vais lui faire la bise et prendre des nouvelles de sa santé. Qui sait s’il n’a pas besoin d’un garde-chasse et d’une gouvernante ? Celle que je connais doit être centenaire aujourd’hui.
-        Dans les romans d’Agatha Christie le chatelain, un baron en général, emploie toujours un couple : lui comme majordome et elle comme cuisinière. Si votre oncle a le même profil nous allons devoir nous marier avant de lui offrir nos services. J’ai toujours rêvé d’être un majordome et de vous épouser depuis quelques temps. Mais à défaut j’accepterais un emploi de garde-chasse.
-        Pas question de mariage. Prenons les choses dans l’ordre : Vous trouvez un travail. De mon côté j’essaye d’assouplir les liens avec mon employeur actuel. Et on se revoie dans une quinzaine si possible.
-        Bien altesse.
-        Ne refaite pas l’idiot Hippolyte sinon je retire ma main et vous la…, et puis non, je vous aime trop pour vous gifler.
-        Yes, elle l’a dit. Moi aussi vous le savez bien je vous aime. Ah ! que c‘est bon. Demain j’écris la première lettre et je vous promets de chercher un emploi à durée infinie. Je vous ramène à votre hôtel ?
-        C’est moi qui paye le repas aujourd’hui et on ne discute pas.
-        D’accord votre… pardon. D’accord Mon Elisabeth adorée. C’est mieux là ?
-        Pas si vite Hippolyte.
Nous nous sommes séparés à regret alors que nous avions encore plein de choses à nous dire. Nous avons alors convenu d’échanger par courrier électronique mais sous forme de lettres écrites comme à la plume sur du papier. Les échanges téléphoniques n’étaient pas exclus mais je me sens plus à l’aise en écrivant qu’en parlant au téléphone. Je n’ai eu aucun mal à convaincre Elisabeth de procéder ainsi.
 
  CHAPITRE 4 - ECHANGES DE LETTRES- ELISABETH ET HIPPOLYTE
Première lettre - Hippolyte
Bonjour chère Elisabeth
Etrangement écrire cette lettre me trouble infiniment alors que c’est ce que je souhaitais lors de notre dernière rencontre.  Je réalise qu’au téléphone j’entends votre voix et quand je vous ai en face de moi mon âme s’illumine et je ne vois rien d’autre que vous. Tout bêtement je vais commencer par vous donner des nouvelles concernant ma recherche d’emploi puisque c’est la première chose que nous avions prévue de faire. Bien entendu je me suis inscrit à « France Travail » et à l’APEC (recherche d’emplois cadres). J’ai rédigé un CV ce qui m’a profondément perturbé. J’ai eu bien du mal à ne pas écrire : « je cherche un emploi bien payé demandant peu de travail », phrase qui doit être en filigrane dans tous les CV mais que personne n’écrit. On m’a proposé de faire un bilan de compétences, pourquoi pas. Une fois ces corvées assumées j’ai pris mon téléphone et en piochant dans les pages jaunes j’ai appelé au culot les patrons d’entreprises qui me tentaient. Certaines secrétaires m’ont envoyé bouler en me proposant d’envoyer un CV ce que j’ai refusé prétextant un passé professionnel secret défense. Il me faut un RV confidentiel. J’ai réussi à avoir deux RV. Pas mal n’est-ce pas ? Mais pas de réponse positive pour l’instant. Je continue avec la même méthode.
En réalité je ne fais que penser à vous.
Hippolyte Chlorate
 
Deuxième lettre - Elisabeth
Bonjour Hippolyte
Votre première lettre m’a profondément déçue. J’avais cru comprendre que vous m’aimiez autant que je vous aime et que lis-je dans votre lettre ressemblant à un conte-rendu destiné à un employé de France Emploi ?
« En réalité je ne fais que penser à vous. »
C’est un peu court petit homme. Je m’attendais à plus d’émotion et plus de mots propres à me faire frissonner mais à lire votre lettre je n’ai eu que le sentiment de prendre un bain d’eau tiède.
Je vais donc vous répondre sur le même ton : J’ai réussi à obtenir de mon employeur de faire du télétravail entre les visites aux clients. Je me porte bien et ma balance reste neutre concernant mon poids.
Oublions cela. Je repense souvent à notre rencontre de Lyon qui laissait entrevoir une relation plus chaleureuse. J’en suis encore toute émue et malgré la déception que m’a causé votre lettre je suis certaine que paraphrasant Monsieur Jourdain vous avez murmuré avant de vous endormir : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. »
Je termine en vous embrassant tendrement car je vous aime toujours et j’attends bien vite une lettre qui me réchauffe le cœur.
Elisabeth
 
Troisième lettre - Hippolyte
Ma chère Elisabeth
Je comprends votre courroux et je me sens « petit homme » comme vous aimez me qualifier. Je n’ai pas d’excuse mais vous devez comprendre que j’ai peu d’expérience en lettres amoureuse. Pendant des années je n’ai écrit que des lettres commerciales ou des programmes d’ordinateur. Je dois apprendre et je vais m’y employer avec toute l’ardeur que me donne l’amour que j’ai de vous.
Cette nuit j’ai fait un rêve que je dois vous raconter :
« Vous étiez, hier après-midi, accoudée à la barrière de pierre au bord du lac et vous pleuriez. J’étais alors à l’ombre d’un platane dont les branches caressaient l’eau du lac et je vous voyais pleurer. Depuis votre position vous ne pouviez me voir. Sans raison je me suis mis à pleurer avec vous. Je ne saurais jamais pourquoi ni ne vous demanderais jamais les raisons de vos larmes. Étiez-vous alors la visualisation d’un souvenir ancien ? Je n’ai pas de souvenir montant à la surface de ma mémoire qui expliquerait cette communion des larmes.
 Vous pleuriez, alors je pleurais.
  J’aurais pu m’éloigner et chercher à oublier ce moment à la fois douloureux et délicieux. Je ne peux hélas rien oublier, ni vous larmes, ni votre visage à moitié caché par vos noirs cheveux. »
 Je ne sais pas comment interpréter ce rêve mais je crois qu’il tisse un fil entre vous et moi.
 Moi aussi je repense souvent à notre rencontre dans le TGV et dans nos repas à l’hôtel de mon ami Daniel. J’essayais alors de deviner qui vous pouviez être, au moral comme au physique. Je devinais parfois, anticipais souvent. Je pense à ce qui me déplait le plus souvent chez une femme : sa voix et sa façon de s’exprimer. Sur ce plan vous m’avez charmé car de vos lèvres admirables ne sortaient que des pensées propres à me transporter.
Je regrette parfois que nous ayons dû abandonner notre projet utopique mais je me dis que la douceur et le calme auxquels nous aspirons nous rendrons plus heureux le jour où nous serions réunis.
 Ne pourrions-nous pas envisager un week-end pour rendre visite à votre oncle et son manoir ? Je garde un merveilleux souvenir de la Sologne que j’ai un peu connue dans ma jeunesse lors de colonies de vacances.
En espérant que cette lettre efface dans votre esprit l’impression ressentie à la lecture de la première je vous embrasse tendrement et j’attendrais avec impatience votre prochaine missive
Hippolyte
 
Quatrième lettre - Elisabeth
Très cher Hippolyte
Merci d’avoir laissé votre inconscient vous faire pleurer avec moi. Je crois en notre amour plus que jamais. Je vais prendre contact avec mon vieux tonton afin d’aller lui souhaiter son anniversaire dont la date approche. Son manoir est assez grand pour pouvoir nous loger sans promiscuité gênante. Mais non, gros bêta…
De mon côté la semaine a été éprouvante car un client a voulu répéter l’essai qu’un autre avait tenté à Lyon, vous devez vous en souvenir. Il va le regretter toute sa vie et pas sûr qu’il puisse encore copuler. J’étais habillée ce jour-là d’un corsage assez seyant qui a dû réveiller ses instincts de prédateur et un jean avec aux pieds des Dr Martens. Ce monsieur à la fin de l’entretien s’est levé de son bureau et venant vers moi a commencé à baisser la fermeture éclair de son pantalon et me demandant une faveur à laquelle la signature du contrat lui donnait droit croyait-il. Il avait oublié que bien qu’étant une femme j’avais le sens de la stratégie et du caractère. Je lui ai dit, semblant accepter sa proposition « avec plaisir mais fermez les yeux je ne veux pas sentir votre regard au-dessus de ma tête. » Il a laissé tomber son pantalon a sorti son sexe et a levé les yeux au ciel. Avec mon téléphone je j’ai pris en photo et je lui ai éclaté les couilles d’un bon coup de pied parti de loin. Il s’est écroulé j’ai repris une photo pendant qu’il se tortillait sur le tapis et j’ai récupéré son exemplaire de contrat. Je suis sortie du bureau, j’ai montré les deux photos à sa secrétaire en lui demandant de supprimer mon nom dans l’agenda de son patron et de prévenir le SAMU pour un cas urgent. Je suis certaine qu’elle a compris le message et qu’il n’y aura aucune suite me concernant. Sortie de l’immeuble j’ai déchiré les deux contrats et suis entrée dans le premier bistrot pour boire un verre. Il m’a fallu un certain temps avant que je puisse tenir mon verre d’une seule main sans trembler. Les jours suivants aucun article dans la presse et mon patron, en voyant ma tête, a compris que le contrat avec lequel j’aurais dû revenir n’avait pas été signé. Je suis presque certaine que le milieu dans lequel j’évolue va apprendre l’évènement et que le message est passé : n’approchez pas de trop près Elisabeth X, elle est dangereuse.
N'ayez aucune crainte vous concernant mon cher Hippolyte. Je crois plutôt que ce sera moi la violeuse. Je sais que vous n’offrirez qu’un semblant de résistance et que l’attrait de mes formes vous ferons céder sans violence.
Mais changeons de sujet.
Vous n’avez pas oublié que j’aime la lecture et j’ai découvert par hasard que le prénom Hippolyte peut être porté par un homme comme par une femme. Et on peut l’orthographier de l’autre façon : Hyppolite. Mais je préfère votre prénom : Hippolyte.
Dites-moi dans votre prochaine lettre que vous m’aimez toujours et où en sont vos recherches d’emploi.
Je vous embrasse follement
Elisabeth
 
Cinquième lettre - Elisabeth
Mon cher Hippolyte
Je ne peux pas attendre votre réponse pour vous dire ce qui m’arrive. Mon patron m’a fait comprendre hier que mes qualités seraient plus estimées dans un autre domaine que la mode. Ses collègues du Sentier se sont réunis après mon exploit d’avant-hier pour m’éjecter. Comme je travaillais à la commission pas de licenciement et tout le tralala administratif qui va avec. Je suis donc sans emploi et je n’ai plus que mes yeux pour pleurer. Mon époux qui n’attendait qu’une occasion pour se débarrasser de moi m’a informé qu’il demandait le divorce pour incompatibilité d’humeur. Il travaille également dans le Sentier comme importateur de tissus africains qu’il fait confectionner en Belgique. Bien évidemment une femme comme moi l’importunait fortement. Heureusement nous n’avons pas eu d’enfant et comme je suis une petite fourmi et j’ai de quoi attendre quelques temps l’idée qui va me permettre de rebondir. Comme vous êtes dans la même situation que moi je suis persuadée que nous pouvons en y réfléchissant ensemble trouver une solution commune. Je ressens de plus en plus fort le besoin de vous avoir près de moi et j’ai hâte que vous me preniez dans vos bras pour me donner des forces et confiance en l’avenir. J’ai le sentiment intime que cette affaire est un don du destin car aucune solution ne serait apparue pour faire coïncider mon métier de commerciale parisienne voyageant sans arrêt et votre métier qui pourrait demain vous conduite à l’autre bout du pays. J’ai pris contact avec mon tonton de Sologne qui est prêt à nous recevoir dans deux semaines. Ne me dites surtout pas que vous êtes déjà embauché quelque part au bout du monde. J’ai besoin d’être à vos côtés très vite.
Embrassez moi très fort
Elisabeth
 
Sixième lettre – Hippolyte
Mon Elisabeth
Vos deux dernières lettres m’ont rempli d’effroi à la première lecture et d’un fol espoir à la relecture. J’ai du mal à réaliser comment nous sommes passés d’une amitié amoureuse à un véritable amour qui ne s’est pas encore exprimé concrètement. Je crois que des ondes secrètes nous ont rapprochés et que le respect mutuel qui jusque-là nous obligeait à une certaine retenue n’a fait que renforcer une attirance magnétique inéluctable.
Je vous aime et vous m’aimez et cela devrait nous aider à trouver la solution commune à nos problèmes.
J’ai eu un entretien prometteur avec un collectionneur d’appareils photo qui souhaite éditer un catalogue de son importante collection. Rentier d’un fortune conséquente le salaire qu’il me propose ne serait pas un problème. J’ai seulement peur de m’encrouter dans un travail qui finirait par être monotone : photo des appareils, description historique, mise en page sur l’écran d’ordinateur. Un travail de bénédictin qui n’est pas dans mes ambitions.
Petit aparté : « Quand vous me parlez de Sologne je pense à mon voyage à pied lorsque j’avais quinze ans et qui m’a conduit au petit village de Bracieux entre Cheverny et Chambord. C’est un souvenir inoubliable avec celui d’Azay le rideau où j’ai passé quelques jours. »
Mais je pense plus à vous et aux problèmes que vous devez résoudre qu’à mes souvenirs d’enfance. Avez-vous une amie qui peut vous loger momentanément ?
Le problème qui m’obsède le plus c’est quelle activité pourrions-nous avoir ensemble ?
Dans l’agriculture nous n’avons aucune connaissance.
Dans la restauration non plus et à ce que je sais il y a plus d’argent à perdre qu’à gagner à moins d’avoir 3 étoiles chez Michelin.
Dans l’industrie nous ne pouvons pas espérer être embauchés ensemble.
Transformer notre château en gîte de luxe : nous n’avons pas de château et il faut être à la disposition des clients pratiquement 16 heures par jour : Difficulté à prévoir : un travail qui nous occuperait 16 heures par jour nous empêcherais d’échanger un baiser selon notre envie et nous pousserait à dormir sans geste amoureux.
J’ai bien une idée qui trottine dans ma tête mais pour vous la soumettre j’attends de vos nouvelles mais surtout le moment de vous prendre dans mes bras pour des baisers brûlants qui s’impatientent
Hippolyte
 
Septième lettre – Elisabeth
Très cher Hippolyte
Soyez rassuré dans l’immédiat. J’ai trouvé où me loger provisoirement. C’est une vieille copine, Camille, qui vient également de se faire larguer et qui est toute heureuse de m’avoir auprès d’elle pour l’aider à évacuer son chagrin.
Si nous faisions le tour de nos passions (hors amoureuses il s’entend) pour trouver une activité ou chacun pourrait exprimer ses talents en concordance avec ceux de l’autre. Je m’explique. A mes moments perdus je photographie à tout va. Des animaux, des fleurs, des humains dignes d’intérêt. J’en suis restée à la photo argentique car mes premières tentatives de photographier en numérique m’ont effrayées. Trop de paramètres à régler qui peuvent servir à un professionnel mais qui me perturbent car je ne maîtrise bien que sept réglages : couleur ou N&B, sensibilité du film, mesure de la lumière et choix du diaphragme et de la vitesse d’obturation, cadrage et mise au point.
Le développement de mon film me procure le plaisir et l’angoisse de la découverte. Je n’en dis pas plus sur ce sujet qui finirait par vous lasser. Je suis une cuisinière passable et le ménage dans la maison a tendance à me faire fuir. Avant que mon ex-mari me fasse abandonner ma petite maison à la campagne je jardinais beaucoup avec les conseils de mon papa qui était un maître jardinier. J’aime marcher et faire de la randonnée dans des lieux ignorés des touristes.
Et vous cher Hippolyte quelles sont vos passions avouables.
J’attends votre réponse avec impatience dans l’espoir que vos passions complètent les miennes.
Je vous aime et vous embrasse fougueusement

 Huitième lettre - Hippolyte
Très chère Elisabeth
Cette idée de réunir nos passions pour construire un projet professionnel me convient à ravir et je suis un peu jaloux de n’y avoir pas pensé le premier.
Ma première passion a été la vie des animaux sauvages. Dès mes quinze ans je passais tout mon temps libre en forêt à collectionner des coléoptères puis de libellules et puis j’ai arrêté la collection devant les difficultés financières : une boîte à collection, les aiguilles vernies et autres accessoires coûtent une fortune que mes moyens ne me permettaient pas. Mes parents n’étaient pas riches et j’étais l’aîné de 5 frères donc l’argent de poche était quasiment inexistant. J’ai donc continué à traîner ma solitude en forêt et rêvent de rencontrer l’âme sœur. J’ai appris très tôt à faire la cuisine et à bricoler pour aider mon père. Je ne vais pas vous raconter toute ma vie, elle est sans grand intérêt. Seul mon don pour l’organisation, l’informatique et les statistiques m’ont permis de trouver ma voie et un métier. En conclusion je ne vois guère en quoi je pourrais être utile à un projet commun. Quoique…
J’ai oublié de vous dire que je maîtrise assez bien la fabrication de vinaigres parfumés, le pesto à l’ail des ours, la viande séchée salée et la crème de cassis.
Essayez de me décrire le manoir de votre oncle et questionnez-le sur sa capacité d’accepter une invasion essentiellement féminine. Je ne vous en dis pas plus. Une idée assez folle vient de germer et j’ai besoin d’y réfléchir encore.
Les jours s’égrènent sans vous voir, sans vous embrasser, sans vous serrer dans mes bras et j’avoue : vous me manquez beaucoup, beaucoup.
Acceptez pour conclure ma chère Elisabeth un baiser torride.
Hippolyte
 
Neuvième lettre – Elisabeth
Bonjour mon lointain amoureux
Après un moment de flottement votre lettre m’a remplie d’espoir. Le manoir de mon oncle comporte outre les pièces communes une dizaine de chambres et des dépendances nom, inutilisées mais en bon état. Mon oncle encore jeune est veuf et tel que je le connais une nombreuse présence féminine ne pourrait que le réjouir. Il me reproche sans cesse mes trop rares visites et trouve toujours une bonne raison pour me garder un jour de plus que ce que j’avais prévu. La propriété fait plusieurs hectares en friche depuis longtemps et il y a un gros travail à faire pour rentabiliser cet espace. Seul point faible ses revenus sont suffisants pour satisfaire ses besoins mais il lui serait impossible d’investir quelques sous dans notre projet.
Pourquoi me faire languir ? Dites-moi vite à quelle folie vous pensez. Je dis folie car je commence à vous connaître et je devine que ce projet que vous ruminez dans votre campagne ne sera pas de tout repos.
En faisant le tour de nos premières conversations je vois une ligne de conduite, un chemin à peine marqué vers ce projet. Mais mon impatience s’épuise. Je veux savoir petite homme ce que vous manigancez.
Pardon Hippolyte de reprendre ce « petit homme » mais je demande, je supplie, j’exige rapidement d’en savoir plus.
Parlez-moi d’amour
Redites-moi des choses tendres
Votre beau discours
Mon cœur n’est pas las de l’entendre
Pourvu que toujours
Vous répétiez ces mots suprêmes
Je vous aime
Paroles volées à Lucienne Boyer
 
Dixième lettre – Hippolyte
Pour commencer cette lettre je ne puis faire autrement que citer Paul Géraldy
Ah ! je vous aime ! je vous aime !
Vous entendez ? Je suis fou de vous. Je suis fou…
Je dis des mots toujours les mêmes…
Mais je vous aime, je vous aime !...
Je vous aime, comprenez-vous ?
 
Après avoir longuement réfléchi j’ai décidé de ne rien vous dire par lettre. Je sais que vous allez me trouver cruel mais comprenez-moi : il n’y a pas encore de projet précis dans ma tête. Juste des idées qui s’entrelacent, se bousculent et qui ne pourront se mettre en place qu’avec votre aide et surtout votre présence. C’est en échangeant des idées comme des balles de tennis que le projet prendra forme.
Pour cela il faut que nous nous retrouvions assez vite chez votre oncle, et pas ailleurs, c’est essentiel pour que mes idées associées aux vôtres prennent forme. Je vous suggère de le contacter en lui proposant que nous lui rendions visite avec la présence de votre amie Camille qu’il faut convaincre. Pourquoi ? Mais parce que si le tonton me voit arriver avec vous sa joie de vous revoir sera douchée mais si Camille est là il saura reporter son intérêt sur une jolie femme (j’espère qu’elle est jolie) et oubliera ma présence et sa jalousie naissante. Et Camille joue un rôle dans mes projets. Pas de mauvaise pensée s’il vous plait madame. Je ne dis plus rien jusqu’à notre rencontre.
  
CHAPITRE 5 CONSTRUCTION DU PROJET
Retrouvailles15 jours ont passé où les échanges téléphoniques se sont succédés à un rythme effréné. Elisabeth a réussi à convaincre Camille à se joindre à nous pour notre visite au tonton Charles. Après avoir lu la description que m’en a fait Elisabeth et vu sa photo je me suis dit que l’oncle d’Elisabeth lui trouvera beaucoup de charme. C’est une belle femme, cultivée, quadrilingue et trop modeste aux dires d’Elisabeth.
Je sentais autant qu’Elisabeth l’angoisse de ce moment où nous allons nous redécouvrir et nous embrasser. Si l’objectif de ce voyage était de nous retrouver je n’oubliais pas que c’était surtout pour enfin développer un projet d’activité commun. Je me torturais les méninges pour assembler les idées qui avaient rempli mes jours et mes nuits. J’ai mis sur papier les différentes activités que nous pourrions mettre en œuvre pour commencer et graduellement arriver au projet final. Me connaissant j’ai vite admis que l’inspiration viendrait spontanément au moment d’entamer la discussion et que mes notes ne me seraient d’aucune utilité.
Du Mans jusqu’au petit village de Bracieux la route n’était pas longue et me rappelait d’anciens souvenirs. J’avais gardé ma vieille Renault 25 qui avalait les kilomètres sans un signe de fatigue. Nous étions au début du printemps et la nature s’était fait belle pour m’accompagner ; les arbres chuchotaient avec le vent des encouragements et les coquelicots du bord de la route me saluaient en inclinant leur corole écarlate. Je trouvais facilement le manoir de l’oncle Charles entre Bracieux et Neuvy. Plus j’approchais plus mon cœur battait vite et j’angoissais comme à un premier rendez-vous.  J’ai tout de suite vu Elisabeth, Camille et l’oncle Charles assis à l’ombre d’un grand parasol sur la terrasse. J’ai à peine eu le temps d’ouvrir ma portière qu’Elisabeth se jetait à mon cou et m’embrassait avec une fougue qui me rendit vite ma sérénité. Elle était vêtue d’une robe à fleurs laissant deviner les charmes de son corps. Elle s’offrait à moi sans aucune réserve : elle m’aimait et je l’aimais. Je compris à cet instant que plus rien ne pourrait nous séparer.  Nous nous sommes néanmoins séparés à regret et Elisabeth m’a présenté à l’oncle Charles puis à Camille. L’oncle Charles était plus jeune que je l’avais imaginé : une cinquantaine d’années, grand et mince et son sourire me fit comprendre tout de suite qu’il m’accueillait sans arrière-pensée. Camille était une femme aussi grande qu’Elisabeth. Elle était blonde, séduisante et me tendit la main avec timidité. Elisabeth m’a présenté en racontant notre rencontre dans le train de Paris-Lyon. J’ai complété son récit en expliquant succinctement qui j’étais et ce que je faisais. Pendant que la vieille cuisinière Ginette (pas si vieille que ça) de Charles nous apportait l’apéritif je sortis les cadeaux que j’avais prévus : un carton de 6 bouteilles de vieux Jasnières pour oncle Charles qui ne cacha pas son plaisir car il préférait ce vin sec aux vins blancs d’Anjou plus doux. A Elisabeth j’offris un vieux grimoire volé à la bibliothèque de Troyes ‘la vie de Saint Hippolyte’. Surprise et méfiante elle a ouvert l’ouvrage pour découvrir une version non expurgée du Kamasoutra. Elle éclata de rire et me donna sur la tête un coup léger avec le livre en question. Charles et Camille voulurent savoir ce qui la faisait rire : peine perdue elle garda le livre fermé sous son bras. Pour Camille j’avais eu plus de mal à trouver un cadeau qui lui fasse plaisir. J’avais trouvé en brocante une écritoire de toute beauté que j’avais négociée chez mon antiquaire habituel. J’y avais ajouté une boîte de plumes Gilbert & Blanzy-Poure et la plume en verre qui s’utilise comme une plume d’oie. A son sourire et la bise qu’elle me fit j’ai compris que j’avais visé juste. L’apéritif nous permit de faire connaissance : Charles nous raconta sa carrière d’ingénieur dans la construction de ponts et autres ouvrages d’art. Il collectionnait ouvrages sur l’architecture depuis loin possible dans le temps. Mais jusqu’ici il n’avait pas trouvé plus ancien que la Renaissance. Tous les ouvrages du Moyen-Age sont dans les musées et il trouve ça injuste. Depuis quelques temps il s’ennuyait ferme et cherchait, sans conviction pour l’instant, à vendre son domaine et aller vivre en ville pour rencontrer du monde. Abandonner son manoir le chagrinait et il repoussait chaque jour à plus tard son projet de déménagement. Camille était traductrice chez un grand éditeur et rêvait de trouver à exercer ses talents autrement et surtout en voyant du monde. Devenir interprète la tentait un peu mais le milieu était bien fermé et elle n’avait aucune connaissance pouvant la pistonner dans cette branche. Son divorce récent l’avait bien traumatisée et pour l’instant elle ne rêvait que de calme. Chacun de nous connaissais Elisabeth mais elle éprouvait comme Camille le besoin de calme mais pas dans la solitude dit-elle en me regardant.
Après l’apéritif nous sommes entrés dans la salle où le repas était prévu. Pour soulager Ginette la cuisinière je proposais de faire le service. Ce n’était pas uniquement par dévouement c’était aussi parce que je n’aimais pas les bavardages qui allaient agrémenter le repas, bavardages où je me sentais toujours déconnecté et mal à l’aise. Je faisais confiance aux deux femmes pour alimenter la conversation avec Charles qui approuva vivement ma proposition. Ginette me remercia de mon aide et nous fumes bientôt amis. Le repas préparé par Ginette était délicieux.
Entrée : Pithiviers au foie gras avec un Sancerre comme vin
Plat principal : civet de lièvre accompagné de pommes paillasson et Chinon
Fromages et vieux Bordeaux, salade
Dessert : salade fruit et glace vanille
Les femmes se firent un plaisir de me taquiner en réclamant soit du pain, soit de l’eau tantôt pétillante tantôt plate et Charles était ravi d’avoir trouvé un maître d’hôtel gratuitement (dit en rigolant).
La salade me permit de parler de mes vinaigres parfumés aux épices. Camille connaissait et me dit que certains restaurants avaient du mal à trouver des fournisseurs fiables car trop souvent il n’y avait pas de continuité dans les parfums.
Nous sommes allés prendre le café dans la bibliothèque de Charles et c’est Elisabeth qui se chargea du service pour me faire plaisir en ajoutant malicieusement : que bien souvent les hommes ne savaient ni faire du bon café ni bien faire l’amour. Mets ça dans ta poche mon garçon.
Après le café Charles nous demanda l’autorisation d’aller faire sa sieste et Camille souhaita rester dans la bibliothèque à consulter les livres qui avaient attiré son attention.
Elisabeth et moi nous sommes partis faire un tour de la propriété avec l’accord de Charles qui ajouta l’air de rien : « les foins sont loin d’être faits alors profitez-en pour faire une petite sieste dans l’herbe. »
Faisant les innocents nous sommes plutôt partis tous les deux en direction des dépendances qui nous attiraient l’un et l’autre. Nous n’avions jusque-là échangé aucune parole tendre et j’avais hâte de prendre Elisabeth dans mes bras et de l’embrasser. Nous sommes partis en nous tenant par la main.
La première pièce dont nous avons ouvert la porte ne révélait qu’un vieux cabriolet et des outils. La deuxième porte était remplie de tonneaux vides. IL fallut attendre la quatrième pour trouver le refuge que nous cherchions. La porte s’ouvrait sur un énorme tas de foin sec qui manifestement attendait notre visite. Elisabeth me prit par les épaules et me jeta sur le foin et s’écroula sur moi en m’embrassant presque avec fureur. Il ne lui fallut quelques secondes pour se retrouver nue et ensuite s’acharner à me mettre dans la même situation. Une fois nus nous étions collés l’une à l’autre en frémissant, sans oser aucun geste, la respiration haletante. Elisabeth fit le premier geste qui déclencha la rage amoureuse qui nous submergea. Les préliminaires furent reportés à plus tard ce fut une union brûlante qui nous colla l’un contre l’autre. Une fois le calme revenu Elisabeth me murmura à l’oreille : -      Ça fait quoi d’être violé ?
-        Comme mon consentement était acquis, ce fut très agréable et je ne porterai pas plainte.
 Nous nous sommes presque endormis, amoureusement enlacés pendant une durée immobile, sans début et sans fin. Mais comme tout a une fin nous nous sommes quand même rhabillés et nous avons repris la visite du domaine. Nous avons fait le tour en notant tout ce qui pouvait servir au projet non encore évalué mais présent dans notre tête. Le domaine pouvait être partagé en deux parties : le manoir et ses deux jardins : un jardin à la française devant le manoir et le potager derrière faisaient un ensemble cohérent et l’espèce de longère qui faisait office de dépendance était proche d’une possible entrée donnant sur un chemin qui rejoignait la route en faisant le tour du grand espace herbeux dont nous avait parlé l’oncle Charles.  Moyennant quelques travaux les dépendances pouvaient se transformer en logement et ateliers. Il y avait six locaux assez spacieux et tout semblait en bon état.
C’est Elisabeth qui lança la première salve de questions. Quels métiers pourrions-nous exercer ici ?
Situons d’abord les lieux, c’est-à-dire ici à Bracieux puisque c’est l’endroit dont nous rêvons depuis des mois : Bracieux, Court-Cheverny sont de petites villes mais proches de Blois et de Chambord. Ce ne sont pas des villes industrielles mais des centres touristiques importants avec une activité agricole classique dont une grande partie est faite de vignobles dont le cépage ‘Romorantin’ fait l’objet d’une appellation contrôlée. Que pourrait bien faire un informaticien dans ce terroir ? A priori : rien. Mais imaginons que nous ayons les moyens financiers d’attendre et que nous nous lancions dans la fabrication de vinaigres (les vinaigres d’Orléans ont disparu) avec des variantes de vinaigres aromatisés. Ce serait un créneau de niche destiné à fournir aux restaurants de la région un produit local et original. Je serais le maître de chais et toi tu serais la commerciale de l’entreprise. C’est un problème de temps, d’argent et d’étude de marché. On pourrait commencer par une production d’amateur pour tâter le terrain. Je vais jusqu’au bout des idées qui me sont venues :
1-     Nous nous marions
2-     Nous marions Camille et Charles.
3-     Camille devient guide multilingue dans les châteaux de la région
4-     Dès que l’entreprise est démarrée nous lançons l’opération « sauvetage femmes battues »
-        Holà petit homme, on arrête de délirer.
-        Qui t’a dit que j’étais amoureuse au point de t’épouser ? Hein ?
Et pourquoi Camille épouserait-elle Charles ?
5-     Parce que je le sais.
6-     Parce que ça saute aux yeux qu’ils vont tomber amoureux avant ce soir.
-        Pour le 1 il me semble qu’une demande en bonne et due forme n’a pas été faite. Je suis une femme patiente mais je ne vais pas attendre jusqu’à la saint glin-glin qu’un amoureux m’en fasse la demande. Serais-tu demandeur Monsieur Hippolyte ?
-        Je le suis car je t’aime et je ne souhaite que cela.
-        Et bien d’accord, à genoux s’il te plait.
-        Je me suis exécuté et je lui ai demandé de m’épouser.
-        Parfait. J’accepte et je bannis de mon langage la formule « petit homme ». Embrasse-moi.
-        Nous nous sommes embrassés tendrement.
-        Maintenant c’est à moi de causer me lança Elisabeth.
Qui t’as dit que je prendrais un emploi de commerciale dans ton délire ? Moi aussi j’ai réfléchi et il y a un domaine dans lequel j’ai un peu d’expérience c’est la culture de plantes aromatiques et sauvages. Oui Monsieur. Et je peux te les citer : menthe, basilic, sauge, marjolaine, sarriette ; thym bien sûr, et coriandre et angélique. Je t’étonne là hein ? C’est mon papa qui m’a appris à connaître toutes ces plantes et je n’ai qu’une envie c’est de me remettre à cette culture. On peut les vendre sur les marchés de la région, dans les boutiques fréquentées par les touristes et les restaurants. Cela ne demande pas de gros investissement mais comme pour tes vinaigres il faut compter un an ou deux avant de faire du chiffre d’affaires et des bénéfices. C’est là que le bât blesse. J’ai un peu d’économies, je suppose que tu n'as pas dépensé tout l’argent de la vente de ton entreprise mais j’ai bien peur que cela soit insuffisant.
-        As-tu pensé à demander à ton avocat qui s’occupe de ton divorce de demander que le divorce soit complété par une demande de prestation compensatoire sous forme de rente viagère à vie vu que tu n’as pas de travail et que lui gagne bien sa vie ? [1]
-        Non je ne l’ai pas demandé car j’ignorais cette possibilité. Je l’appelle dès demain.
-        Et parles-en à Camille qui doit pouvoir obtenir également quelques sous. Si ton avocat n’adhère pas à ta suggestion je connais une avocate sur le Mans qui ferait cracher des millions à un SDF.
-        Si vous n’obtenez rien de vos ex vous allez devoir pointer au chômage et courir après les emplois intérimaires où à des lieues de votre logement.
Les associésSur ces bonnes paroles nous sommes retournés au manoir après avoir maladroitement éliminé les traces de foin sur nos vêtements. Nous avons retrouvé Camille et Charles dans la bibliothèque penchés côte à côte sur un vieil album de dessins de l’architecte Viollet-le-Duc. Manifestement notre intrusion les dérangeait, le coup d’œil de Charles était significatif.  Nous sommes ressortis discrètement et nous sommes allés sur la terrasse boire un jus de fruit. Charles et Camille nous ont rejoint peu après en s’excusant.
Nous avons raconté notre promenade sans s’attarder sur l’épisode du foin. C’est Camille qui a mis les pieds dans le plat en disant innocemment : « tiens vous vous tutoyez maintenant ? »
Elisabeth a rougi et a sauté sur l’occasion pour leur dire que nous allions nous marier une fois le divorce jugé. Elle a ajouté tout aussi innocemment : « Et vous votre après-midi s’est bien passé dans les vieux grimoires ? »
Eclat de rire général. C’est Charles qui fit dérouler la discussion dans le même sens en parlant des goûts communs entre lui et Camille.
J’ai alors annoncé que je les invitais au restaurant ce soir en comptant sur Charles pour nous trouver le restaurant qui voudrait bien de nous. J’ai précisé que ne buvant jamais d’alcool le soir ce serait moi le conducteur de la voiture.
Charles nous a trouvé le bon restaurant et nous sommes partis vers 20 heures à Court-Cheverny. En voyant le patron serrer la main de Charles et lui disant combien il était content de le voir nous avons compris comment il avait pu nous réserver une table de 4 couverts par un coup de téléphone passé à 17 heures. Elisabeth n’a pas attendu et dès l’apéritif exposa les idées de projets qui nous avaient torturé les méninges tout l’après-midi. Heureusement elle ne parla pas du projet de marier Charles et Camille. Mais à voir comment Charles posait sa main sur celle de Camille il était évident que notre prévision se réaliserait très rapidement. Camille accepta facilement de faire guide dans les châteaux du coin mais exigea de passer sa matinée à faire du jardinage comme Elisabeth mais du côté potager derrière le manoir. J’attendais avec angoisse la réponse de Charles dont nous avions l’air de disposer de tout sans son contentement. Il aborda la question sans détour.
-        Je suppose que vous allez maintenant me demander mon avis pour pouvoir réaliser vos projets ?
-        Bien évidemment et c’est à partir de ce qu’Elisabeth et moi avons projeté que vous allez pouvoir donner votre avis. Nous vous proposons d’acheter vos dépendances et le terrain d’herbe qui est devant. Elisabeth et moi allons transformer une des parties du bâtiment en logement et les autres en ateliers. Nous créerons une sortie sur le chemin qui borde l’herbage et ainsi nous ne vous gênerons en aucune manière. Vous gardez ainsi votre manoir et ses jardins et votre entrée habituelle. Il reste à trouver un point de chute pour Camille. Soit une location dans le village soit …
-        Une chambre avec salle de bain chez moi, précisa Charles en me coupant la parole. En échange elle aidera Ginette la cuisinière dans son travail. Ais-je bien compris vos arrières pensés ?
-        Tout à fait Charles mais c’est à Camille de décider de l’endroit où elle veut se loger.
-        Camille en rougissant accepta l’offre de Charles et j’ai bien senti qu’elle n’attendait que ça.
-        Charles reprit la parole : merci Camille d’accepter mon hospitalité quant à vous deux, les comploteurs Elisabeth et Hippolyte sachez que je ne suis pas vendeur pour l’instant de la partie de mon domaine que vous convoitez. Je vous propose une location avec un bail annuel reconductible à un prix que je vous indiquerais dans quelques jours. Si vos projets aboutissent et que les affaires marchent bien je reconsidérerais la question. Peut-être pourrais-je investir quelques sous dans votre affaire. Mais dites-moi tout : quel est l’objectif final de tout cela :
C’est Elisabeth qui se lança dans l’explication du but final recherché. Elle raconta les tentatives d’agressions sexuelles de ses clients, nos discussions à partir de notre rencontre à Lyon et les difficultés de concevoir une action permettant d’arrêter ce comportement de prédateur de beaucoup d’hommes. Elle insista aussi sur son besoin personnel de vie calme avec un objectif de vie positif et le seul que nous ayons trouvé après des mois de discussions d’hésitations c’est de trouver un endroit où elle se sentirait bien pour concevoir une structure d’accueil de femmes martyrisées mais pas seulement : accueillir, reconstruite la personnalité en pratiquant une activité permettant une fois l’équilibre retrouvé de partir vers une nouvelle vie et un travail. Nous ne voulons pas faire de l’aide sociale, nous ne voulons pas de psychologues plus traumatisants qu’efficaces. L’endroit nous l’avons trouvé, c’est votre propriété oncle Charles et c’est en faisant participer chaque nouvelle recrue à nos activités commerciales ou agricoles que nous pourrons les remettre en forme. Il n’est pas question d’un recrutement pas voie d’annonce ou de négociation avec des structures d’accueil officielles. Par le bouche-à-oreille, par la capacité à découvrir les peines cachées nous espérons remettre en route deux ou trois personnes par an. C’est notre ambition de départ. Quand j’attends mon tour devant un étal de marché je sais reconnaitre une cliente voisine en difficulté, même si elle fait tout pour le cacher est c’est le plus souvent dans ce cas précis que c’est visible. Je reconnais que c’est de l’utopie mais c’est l’utopie qui a permis à l’humanité d’évoluer. Nous allons commencer par trouver notre propre équilibre et tester la rentabilité des activités envisagées. Cela va prendre du temps et c’est pour cela que Camille et moi devons obtenir de nos ex une prestation compensatoire nous permettant de subvenir à nos besoins. Hippolyte va devoir piocher dans son capital et trouver une activité à mi-temps.
 Je profitais de l’occasion pour exposer mon point de vue et mes ambitions. J’ai expliqué que j’avais passé des années à vendre une informatique toujours en évolution et toujours destructrice d’emploi. Je n’en pouvais plus de journées de quinze heures et de milliers de kilomètres en voiture, de clients toujours plus exigeants sans que cela m’apporte satisfaction et sérénité. C’est ce besoin de vie calme, d’activité réellement productrice qui nous avait rapprochés. Elisabeth a compris dès notre rencontre que je cherchais un peu à la draguer mais qu’il m’était impossible d’user de la force ou de la contrainte. Nous avions la même morale et nous pouvions donc envisager de construire quelque chose ensemble. Camille jusque-là n’avait rien dit. Elle devait se sentir entraînée malgré elle dans une aventure où elle se sentait étrangère. Elle prit la parole la voix tremblotante.
-        Ma vie jusqu’ici était comme une mare tranquille, sans remous, sans pêcheur, sans saveur. Je passais de la traduction d’un roman américain à la traduction d’une thèse d’ingénieur sans aucun plaisir. Je gagnais ma vie, sans plus et rivée devant mon écran je rencontrais peu de monde. Mon mari m’a larguée comme une vieille paire de chaussettes. Il gagnait très bien sa vie mais ne m’en faisait pas profiter. J’étais utile pour le ménage, la cuisine et ses besoins sexuels sollicités sans tendresse ni amour. Ce qu’Elisabeth et Hippolyte viennent de raconter me fait revivre et espérer une autre vie.
-        Tu ne parles pas de Charles dans ta vision de l’avenir ? ajouta malicieusement Elisabeth.
-        Il est trop tôt pour en parler. Nous ne nous connaissons que depuis ce matin. Qui peut dire si ce soir nous nous verrons avec le même regard ? J’aimerais bien pourtant.
Charles nous écouta sans nous interrompre mais se contenta d’un long sifflement et d’un « et bien mon colon ! » comme me l’a dit une fois Elisabeth.
-        Dans la même journée je me trouve envahi par un couple de squatters, dragué par une femme charmante, si, si dragué, et condamné à me séparer d’une partie de mes terres. Et personne ne m’a consulté sur ce projet utopique concocté par ma nièce et son futur mari. Vous n’auriez pas projeté de me marier avec Camille par hasard ?
-        Si, tonton, c’était envisagé et presque prévu. Et puis qu’aurais-tu dis si tu m’avais vu arriver avec Hippolyte alors que tu espérais m’avoir toute seule pour te tenir compagnie pendant un ou deux jours comme à chaque fois que je viens chez toi.
-        C’était un coup monté.
-        Exact tonton. Mais si tu ne supportes plus notre présence, nous pouvons repartir ce soir en emportant Camille avec nous ?
-        Je rends les armes vous avez gagné. Vous restez avec toute mon admiration pour votre projet, utopique, certes mais tellement généreux.
Le repas s’est terminé dans la joie d’avoir pu dévoiler tous les buts de notre projet sans objection majeure. Jusqu’à ce soir Camille était le seul vrai point d’interrogation. Nous étions rassurés et l’offre de Charles nous convenait parfaitement.
Quand nous sommes rentrés la signification du silence dans l’auto était claire : Charles se demandait s’il allait inviter Camille dans son lit et Camille se demandait si Charles allait lui poser la question. Quant à Elisabeth et moi nous nous demandions dans quel style nous allions reprendre nos ébats. Moi je me voyais bien étudier la géographie du corps d’Elisabeth dans tous ses détails et l’interroger sur ce qu’elle allait me permettre ou pas. Le moindre faux pas risquait de rompre le charme qui nous unissait depuis cet après-midi. Charles trouva la réponse à la première question.
-        Comme je suppose qu’Elisabeth et Hippolyte vont coucher dans le même lit et que j’avais prévu deux chambres pour eux et n’attendant pas Camille il en reste donc une que je lui propose. Silence.
-        Les chambres ne ferment pas à clé et toute intrusion dans la mienne sera la bienvenue.
Camille éclata de rire et se jeta au cou de Charles, c’est ce que je crois avoir vu dans mon rétroviseur.
-        Voilà une belle nuit en perspective conclut Elisabeth.
J’ai allumé la radio de bord de mon auto pour entendre Johny Halliday hurler « que je t’aime, que je t‘aime ». Que rêver de plus adapté aux circonstances ?
Aussitôt rentrés nous sommes allés nous coucher avec un minimum d’effusions. Elisabeth pris d’autorité la salle de bain jointe à notre chambre. J’attendis mon tour sans impatience mais avec des pensées loin d’être innocentes.
Après être passé dans la salle de bain je suis revenu dans la chambre pour trouver Elisabeth cachée sus le drap, les yeux fermés. Je me suis glissé à côté d’elle sans qu’elle ne bouge. J’entendais mon cœur battre dans ma poitrine. Je n’osais pas bouger.
-        Qu’est-ce que tu attends gros ballot ?
J’ai posé ma main sur son ventre , et doucement je suis remonté vers ses seins. Et puis je l’ai embrassée hypocritement sur la joue, elle ne bougeait toujours pas. J’ai continué ma promenade géographique jusqu’à rencontrer une touffe parfumée. Je vous laisse imaginer le chemin que j’ai suivi et ce que j’ai trouvé. Elle a gémi, grogné mais de plaisir. Je prenais mon temps et lui donnais parfois l’impression d’abandonner mais c’était une ruse pour l’exciter davantage jusqu’à ce qu’elle réclame ce que j’attendais. Et je n’ai plus attendu. Nous fûmes comblés l’un et l’autre.
Au matin Elisabeth et moi ont été les premiers levés. Nous avons déjeuné seuls puis nous avons préparé le déjeuner de Charles et Camille qui ne sont apparus que vers dix heures, manifestement contents de leur nuit. Pourquoi poser des questions ? La réponse était dans leurs yeux.
La matinée ou ce qu’il en restait fut passée à nous projeter dans l’étape suivante. Deux décisions furent prises : Camille restait avec Charles et s’occupait avec son avocat de son divorce. Elisabeth remonta sur Paris pour rassembler ses affaires et laisser à son mari l’occupation de la maison dont il était seul propriétaire. Elle devait me rejoindre aux bords de la Sarthe aussitôt après.

CHAPITRE 6 – DEBUT DE L’AVENTURE
Cogitations et prises de décisionsAu bout de quelques jours passés en amoureux nous avons réalisé que rien n’avancerait si nous n’étions pas sur place à Bracieux. Nous ne voulions pas imposer notre présence au manoir et troubler le jeune couple Charles et Camille. Avec la bénédiction de Charles nous sommes allés à Bracieux pour louer un logement, ce qui fut rendu facile par le fait qu’Elisabeth était la nièce de Charles bien connu dans le village. Nous avons vite trouvé une petite maison louée habituellement aux vacanciers. Les propriétaires étaient tout contents de louer leur maison à l’année. Charles nous fit connaître les conditions auxquelles il nous louait les dépendances et le terrain attenant. C’était presque symbolique et il ajouta qu’il prendrait en charge le coût des travaux pour l’aménagement complet des dépendances. Si notre projet échouait il pouvait transformer les dépendances complètement modifiées en gites pour les vacanciers. C’était un investissement qui pouvait être rentable à terme. Débordant d’énergie Charles se positionna en maître d’œuvre ce qui le rajeunit de quelques années. Camille comme Elisabeth avait lancé son avocat sur le problème des prestations compensatoires. Elle avait repris contact avec son éditeur pour une traduction non urgente qu’elle enverrait par mail. Pleine d’énergie elle avait aussi trouvé une place de guide multilingue non pas au château de Chambord où les visites guidées se font essentiellement en français. C’est à Cheverny qu’elle trouva la solution : visites guidées par groupes.
Il ne restait plus qu’Elisabeth et moi qui étions sans emploi. Et là l’idée m’a pris d’aller voir sur internet si les deux créneaux que nous visions étaient déjà occupés : Horreur ! Des vinaigriers produisant des vinaigres de qualité et des maraîchers spécialisés dans les plantes aromatiques il y en avait un peu partout en France. Echec et mat. Comme beaucoup de gens nous avions privilégié nos propres désirs en oubliant l’essentiel : pourquoi faire ? Tout était à revoir. Passe encore pour Elisabeth dont la prestation compensatoire était quasiment acquise. Elle pouvait se contenter de cultiver son jardin et de vendre ses produits sur les marchés environnants. Pour moi c’était le néant, le mur. Je ne voulais plus faire de l’informatique et il n’était pas possible de me consacrer comme un retraité à mes hobbies :vinaigres parfumés, viande séchée et pesto à l’ail des ours. Ayant toujours aimé faire du pain en amateur je mijotais le projet suivant : faire un stage de 3 mois chez un artisan boulanger ne faisant que du pain de campagne, monter un four à pain dans le hangar des dépendances et faire 2 tournées de pain par semaine vendues sur les marchés environnants. Je me suis mis à la recherche de l’artisan boulanger ayant le profil recherché. J’en trouvais un dans la région de Bagnoles de l’Orne qui voulut bien me prendre comme apprenti pendant trois mois étant assuré que je monterais ma propre activité loin de son territoire. Elisabeth après quelques réticences approuva mon projet. Je la rassurais en lui promettant des week-ends de folies. Pour faire du pain il faut un four et j’en ai parlé avec Charles qui a été enthousiasmé par l’idée. Il se mit en chasse pour trouver un spécialiste sachant faire un four à l’ancienne. Il a hésité un certain temps entre le four en terre et paille ou le four en brique réfractaire. C’est cette dernière solution qui a été retenue pour la rapidité d’exécution.  Il a trouvé un fabricant bien installé qui pouvait faire ce four dans un délai raisonnable, c’est à dire dans les trois mois de mon stage de boulanger. Les trois mois passèrent rapidement mais à mon retour de stage il fallut bien regarder les choses en face : non seulement il fallait un four à pain mais aussi trouver pétrin, chambre de pousse et autres accessoires de boulangerie. En cherchant sur le net j’ai fini par trouver un fournisseur sérieux. Vu le prix d’un pétrin à bras plongeants je me suis contenté d’un pétrin à spirale. Mais ce n’était pas suffisant pour démarrer nos activités. Il fallait trouver un utilitaire d’occasion. Il fallait trouver une structure juridique pour pouvoir exercer nos activités. Nous avons vite compris qu’il faudrait au moins un an de démarches, de travaux divers avant de réellement commencer nos activités. En outre les soucis financiers s’accumulaient : Les deux femmes avaient bien obtenu une prestation compensatoire généreuse (grâce au travail de l’avocate) mais moi je n’avais encore rien gagné et mon épargne s’épuisait. En outre un pas décisif restait à faire : Nous marier car nous avons compris que non seulement c’était notre désir le plus cher mais que pour être reconnus dans la région il fallait que nous soyons mariés, ne serait-ce que pour établir les statuts de la société. Elisabeth et moi avons dû pousser Charles et Camille à faire la même démarche. Charles a protesté pour la forme en prétextant son âge mais fut ravi de voir combien cela enchantait Camille. J’ai téléphoné à Daniel pour lui demander d’être mon témoin. Quand il a entendu mon nom au téléphone il a cru que j’étais en tournée à Lyon et que je l’appelais pour retenir une chambre.
-        Bonjour Hippolyte, ravi de vous entendre, je vous croyais disparu et comme je quitte Lyon dans quelques semaines je pensais ne plus vous revoir. Comment allez-vous ? Toujours amoureux d’une certaine Elisabeth si j’ai bonne mémoire ?
-        Je vais bien et Elisabeth également. Il s’est passé beaucoup de choses depuis notre dernière rencontre et je vous appelle pour vous faire une demande un peu particulière.
-        De quoi s’agit-il ? vous me faites peur.
-        N’ayez pas peur à moins que d’être le témoin de notre mariage, avec Elisabeth évidemment.
-        Super, je suis ravi, enchanté de votre demande qui me fait très plaisir. La date est-elle fixée ? car j’ai des obligations contraignantes : la vente de l’hôtel que vous connaissez et l’achat d’un hôtel en Italie près du lac d’Iseo pas très loin de Bergame. C’est l’endroit idéal pour concilier l’eau et la montagne. Ma mère m’a toujours raconté que notre famille est de cette région.  Je vous donnerai bientôt les créneaux disponibles pour que je sois présent à votre mariage. Je me doutais bien lors de votre venue que bien des choses vous rapprochaient tous les deux.
J’ai raconté brièvement quel chemin nous avions parcouru et sur quel projet nous nous étions lancés.
-        Et bien vous n’avez pas peur tous les deux.
-        Nous ne sommes pas deux mais quatre car l’oncle d’Elisabeth va épouser Camille son amie que nous avions embarquée dans notre aventure.
-        Donc l’informatique c’est fini ? Monsieur Hippolyte devient boulanger de campagne : belle reconversion.
Sur les conseils de Charles nous avons créé une société sous la forme SARL dont aucun actionnaire ne détenait la majorité. C’est à l’unanimité que nous avons choisi Elisabeth comme directeur. Elle en fut enchantée et les statuts furent rapidement déposées au tribunal de commerce le plus proche, c’est dire Blois. Le capital de 20000 euros ponctionna toutes nos économies à part celles de Charles qui en avait les moyens. Le moment crucial approchait et l’angoisse nous serrait le ventre. Tout était une bonne raison pour retarder le moment d’entrer en action. Nous avons obtenu des différents maires le droit d’avoir une place les jours de marché.
A Court Cheverny c’était le vendredi de 8 heures à 13 heures.
A Bracieux c’est le jeudi de 8 heures à 13 heures et de juillet jusqu’à fin août le dimanche matin.
A Blois c’est le mercredi et le samedi.
Le marché de gros se trouvait à Tours soit à une heure de voiture.
Nous étions morts de peur pour le premier jour.
Charles pour des raisons évidentes ne pouvait tenir un étal de marché.
Je trouvais tous les prétextes pour rester au fournil.
Elisabeth se dévoua mais exigea de moi que je l’aiderais le moment venu pour l’installation et le rangement des tables. Et que je m’occupe de la vente du pain. Je ne pouvais pas faire autrement que d’accepter.
A la fin de l’été nous avions bien avancé mais nous n’avions pas encore trouvé l’utilitaire à un prix qui nous convienne et il était trop tard pour démarrer les ventes. Les plantes d’Elisabeth avaient pris racine mais il était encore trop tôt pour en vendre. Quant aux légumes de Camille ils suffisaient à nos besoins pour le plus grand plaisir de Ginette mais pas assez nombreux pour passer à la vente. Nous avons donc décidé de laisser passer l’hiver en nous consacrant aux nombreux détails restant à régler.
-        Hippolyte !
-        Oui Elisabeth je t’écoute
-        Je m’emmerde, et si on ne trouve rien d’un peu excitant à faire j’arrête tout. Tu ne me dis plus que tu m’aimes, tu ne penses qu’à ton pain au levain, j’ai l‘impression de vivre comme ma grand-mère.
-        Nous n’avons pas parlé mariage il y a quelques temps ?
-        Tiens c’est vrai ça ! j’avais oublié… enfin non mais je voyais ça pour beaucoup plus tard.
-        Ecoute-moi Elisabeth. Je t’explique comment je vois les choses : On se marie dans la plus stricte intimité sans frais vu nos finances.
-        Un mariage de peigne-cul quoi ? sans robe blanche, sans autre invités que les témoins, sans restaurant prestigieux, avec des bagues achetées en solde chez le bijoutier du coin, je vois ça très bien.
-        Elisabeth tu exagères, je t’aime et je te le dis souvent, avoue-le.
-        C’est vrai mais ça ne me suffit pas.
-        D’accord, on repousse le mariage à plus tard. Quand notre affaire aura démarré. Mais il faut bien démarrer quelque chose alors je te propose la démarche suivante : Je commence à faire du pain pour nous et pour donner à goûter aux amis et voisins pour avoir leur avis. Si les retours sont positifs on prend contact avec les boulangers de la place pour leur demander de proposer notre pain (pain au levain cuit dans un four à bois, etc..) en complément de leur production habituelle en leur laissant une petite marge. Comme ça ils ne peuvent pas crier à la concurrence déloyale.
-        C’est pas mal pour un début de carrière dans le commerce mais j’attends autre chose de la vie. On voulait une vie calme, c’est bien parti. On voulait attaquer le problème du féminicide et pour le moment rien en vue. J’ai beau y réfléchir je ne vois pas comment faire ni même comment démarrer. Juste une petite lueur : imaginons que nous arrivions à nouer des liens avec les femmes de boulangers. Elles doivent bien reconnaître les épouses maltraitées et finir par m’en parler. Au fil des jours on doit pouvoir prendre contact avec une de ces femmes et lui proposer une protection en la prenant chez nous sous un prétexte quelconque, enfin non en lui disant quel but nous poursuivons afin de lui donner confiance. Ce que je n’arrive pas à résoudre c’est le problème que nous posera le premier mari qui viendra réclamer sa femme. Tu as une idée toi ?
-        Cela fait des jours que j’y réfléchi et aucune solution ne m’est apparue sauf lui infliger une bonne bastonnade pour lui faite comprendre ce que c’est que de prendre des coups. J’aimerais bien être plus méchant et lui faire passe le goût du pain mais je n’ai pas envie d’aller jusque-là.
-        Ça me va, je te retrouve tel que je t’aime.
Démarrage du planNous avons invité Charles et Camille pour leur faire part de notre plan et avoir leur avis. Ils furent d’accord quant à la démarche mais refusèrent de repousser leur date de mariage. C’était important pour tous les deux.  Elisabeth et moi nous nous inclinâmes de bon cœur. J’ai prévenu Daniel du report de notre date de mariage à plus tard ce qui sembla l’arranger car il était pris par son propre projet.
Le mariage de Charles et Camille fut célébré à la mairie après le délai de parution des bans d’un mois que leur imposa la mairie. Ce mariage fut donc célébré en septembre avec le décorum de rigueur imposé par la position de Charles dans le village.
Pendant que Charles et Camille partaient huit jours en voyage de noce j’ai invité Elisabeth à partir deux ou trois jours à Lyon pour voir Daniel avant son départ pour l’Italie et nous replonger dans l’ambiance de notre première rencontre. Daniel faisait justement sa dernière semaine à Lyon.
-        Bonjour Daniel
-        Bonjour chers amis. Vous voulez une chambre peut-être
-        Bien évidemment
-        Vous êtes mariés ?
-        Ben non, je vous ai prévenu.
-        Dans ce cas je ne peux vous louer qu’une chambre à chacun. Nous ne tolérons pas les couples illégitimes dans cet hôtel ?
-         ?????
-        Mais non je blague. Je savais bien la première fois que je vous ai vu qu’un jour vous dormiriez dans la même chambre. Je suis ravi de vous revoir. Vous avez des mines superbes. La campagne vous a fait du bien. Un petit Martini Gin pour fêter votre arrivée ?
C’est donc en sirotant notre verre que Daniel nous a raconté son projet italien avec photos du restaurant qu’il avait acheté. Sans nous consulter nous savions Elisabeth et moi où nous irions lors de notre voyage de noces si nous en faisons un ? A notre tour nous avons expliqué à Daniel notre démarche et à quel stade décisif nous en étions. Daniel était dubitatif et confirmait ce que nous sentions confusément. Sans réponse à lui apporter nous avons changé de sujet et nous sommes allés admirer sa collection de vieilles montres. Le soir venu Daniel a confié l’hôtel à son maître d’hôtel et nous a invité à dîner dans le bouchon d’un ami. Nous avons passé une belle soirée loin des soucis qui nous torturaient en arrière-plan. Le lendemain avec Elisabeth nous sonne allés au Musée Lumière que j’avais déjà visité rapidement il y a quelques années.
Nous sommes rentrés, chacun ruminant dans son coin les problèmes qui nous attendaient.
Les jours ont passé presque sereinement. Je me suis mis à mon fournil et j’ai commencé à faire des pains de campagne que les boulangers de Bracieux et Court-Cheverny ont accepté de mettre en rayon car ils ne faisaient pas concurrence à leur production habituelle. Les ventes ont bien marché et ce sont surtout les touristes de passage qui ont acheté nos pains. Cela nous a donné le courage de proposer notre production sur les marchés. Nous avons fait comme convenu et nous sommes devenus rapidement presque des marchands forains. Un de nos boulangers qui faisait une tournée avec un vieux Trafic Renault décida d’arrêter et nous a vendu son véhicule à un prix correct. La première partie de notre plan était bien lancée.
Première priseJe me souviendrais toujours du premier contact avec une jeune femme martyrisée par son compagnon et qui nous avait été envoyée un de nos boulangers. C’était une femme d’environ 30 ans, mince et brune, le visage souriant mais complètement stressée et qui a eu du mal à nous raconter son histoire. Voyant que nous étions 2 couples à l’écouter. Nous lui avons expliqué pourquoi le boulanger nous l’avait envoyée et quel était notre projet. Elle finit par prendre confiance et fut rassurée quand nous lui avons proposé de la loger dans une pièce des dépendances que nous avions aménagée en prévision de cette rencontre. Quand elle comprit qu’elle seule possédait la clé de son mini studio elle se laissa aller à nous raconter son histoire : une rencontre avec l’ami de son frère puis vie commune et rapidement des disputes pour des raisons futiles, les premières gifles et alcoolisme aidant des coups plus violents. Elle était tombée dans les bras d’un névropathe absolument incontrôlable. Sans la discussion avec la boulangère elle était prête à plonger dans la rivière pour se noyer.
Quelques jours après son arrivée chez nous elle est venue me voir au fournil et spontanément m’a proposé de m’aider ce que j’ai accepté de bon cœur. Au bout d’un mois nous lui avons proposé d’officialiser sa situation et la prenant comme salariée de notre SARL. Cela l’a rassurée encore plus car elle bénéficiait à partir de ce moment de la protection sociale et cotisait pour une future retraite. Bien entendu nous ne lui avons pas proposé un salaire très élevé mais comme elle n’avait pas de frais de logement ni de nourriture cela lui convenait bien et l’avenir n’était pas bouché. C’était une fille courageuse et n’ayant pas peur du travail. Elle s’appelait Juliette et n’était pas mariée avec son tortionnaire. Juliette n’avait que son certificat d’études comme diplôme mais une grande force morale qu’elle avait acquise dans son enfance. Ses parents la laissant se débrouiller seule elle avait appris à gérer sa vie sauf comment choisir son amoureux. Après quelques semaines elle retrouva naturellement le sourire qui va avec l’énergie qu’elle déployait maintenant. Quand nous étions tous les deux dans le fournil je sentais bien qu’elle avait un peu peur de moi et pourtant je faisais tout pour la sécuriser. J’évitais de la frôler et d’avoir des propos à double sens. Elle comprit assez vite que je ne vivais que pour Elisabeth et peu à peu elle s’est détendue. Les semaines ont passé sans incident particulier.
Et ce que nous craignions est arrivé. C’était un après-midi d’un beau jour d’automne. Je venais de sortir de ma sieste, Elisabeth était partie en ville faire quelques courses et Juliette était dans son appartement. Charles et Camille étaient je ne sais où, en balade quelque part à cataloguer un site archéologique quelconque. J’ai vu arriver un homme dont l’allure m’a tout de suite mis en garde. Grand, maigre et vêtu d’un jean informe et d’un t-shirt sale il m’a interpelé d’un ton agressif.
-        Où est ma femme ?
-        De qui parlez-vous et qui êtes-vous ?
-        Je suis le mari de Juliette et je sais qu’elle est chez vous. Je ne repartirais pas sans elle, c’est clair ?
Je suis resté à le regarder, sans parler, cherchant désespérément comment me débarrasser de cet individu sans répondre à sa demande.
-        Si je vous dis qu’elle n’est pas là vous ne me croirez pas ?
-        Je suis sur qu’elle est chez, je me suis renseigné.
-        Et si je vous dis qu’elle refusera de vous suivre ?
-        Elle me suivra, de gré ou de force.
-        C’est vrai que la force vous tient d’intelligence.
-        Assez parlé ou qu’elle est ?
-        Là-bas dans le fournil, la porte bleue.
-        J’y vais et vous vous ne bougez pas.
-        Je bouge si je veux.
Et ce connard est parti vers le fournil. Je l’ai suivi quelques pas derrière lui. La porte du fourni est dure à ouvrir. Il a cru qu’elle était fermée à clé et il s’est énervé sur la poignée m’ayant complètement oublié. La porte s’est ouverte brusquement déséquilibrant le soi-disant mari. Il a fait deux pas en arrière pour se retrouver le dos devant moi. En marchant j’avais récupéré un manche de pioche qui attendait d’être rangé le long du mur que nous avions longé pour aller vers le fournil. Je n’ai eu, d’instinct, qu’à lever haut le manche et lui en donner un grand coup sur le crâne. J’ai dû avoir le geste plus violent que je le souhaitais car son crâne a fait un drôle de bruit et il s’est écroulé. Je me suis penché pensant qu’il n’était qu’évanoui. Mais non, mort, il était mort d’une fracture du crâne. Il m’a fallu quelques secondes pour réaliser la situation. J’ai entendu Juliette arriver alertée par le bruit que nous avions fait.
-        Juliette écoute moi bien. Ton ex copain ne t’embêtera plus, il est mort et je l’ai tué en lui donnant sans mesurer ma force un coup sur la tête.
-        Qu’est-ce qu’on va faire ?
-        S’en débarrasser et tu vas m’aider. Derrière le bâtiment il y a l’ancienne fosse septique qui a été vidée quand la fosse toutes eaux a été installée. On va le jeter dedans.
J’ai fait le tour du paysage il n’y avait que nous deux et le cadavre. Pas un instant à perdre. Juliette a gardé sons sang-froid et à nous deux nous avons fait le tour du bâtiment en trainant le cadavre par les pieds.
Le couvercle en béton de la fosse a un peu résisté à nous efforts mais nous sommes parvenus à l’ouvrir. Jeter le corps dedans ne prit qu’un instant. Le couvercle remis nous nous sommes regardés, effarés et sans voix. Nous sommes revenus chez elle et Juliette, toute tremblante a préparé deux tasses de thé que nous avons bu en silence.
-        Juliette il faut que tu partes d’ici car je ne veux pas que tu sois concernée par ce qui vient d’arriver. Tu as maintenant un métier en main et tu devrais trouver facilement du travail loin d’ici. Dès demain matin tu annonces ton départ. Réfléchis cette nuit à l’endroit ou tu veux que je t’emmène. Nous partirons en fin de matinée quand tu auras fait tes valises.
-        Même si Arthur n’était pas venu c’est ce que j’avais prévu de faire. Je me sens suffisamment bien maintenant pour tenter ma chance seule. Merci Hippolyte pour tout ce que tu as fait. J’espère que la police ne viendra pas chercher Arthur ici.
Tout s’est passé comme nous l’avions prévu. Juliette est partie et moi je suis resté avec un mort sur la conscience. La police n’est jamais venue. J’ai acheté deux sacs de chaux vive soit disant pour le jardin d’Elisabeth dont la terre était trop grasse. Les jours ont passé et pendant longtemps Elisabeth m’a trouvé nerveux et tendu. Je ne pouvais pas lui avouer mon crime, car c’en était un. Trois mois après le départ de Juliette le boulanger nous a envoyé une nouvelle recrue.
Candidates suivantesLa jeune femme que le boulanger nous a envoyée n’avait pas du tout le même profil que Juliette. C’était une jeune fille d’environ 18-20 ans, petite et grassouillette les yeux noirs et le regard fuyant. Elle écouta notre discours en silence et ne me posa qu’une question :
-        Est-ce que je devrais travailler ?
-        A toi de voir mais sache que nous ne sommes pas une association philanthropique ni les compagnons d’Emmaüs chez qui d’ailleurs les gens recueillis travaillent. On ne va pas assurer ta protection, te loger, te nourrir sans contrepartie. Qu’as-tu à nous proposer ? Que sais-tu faire ? As-tu un métier ?
-        Je ne sais rien faire à part baiser.
-        Tu nous facilites la tâche. Tu peux repartir car ici ce n’est pas un bordel. Bye, Bye.
Elle est repartie sans un mot.
Nous étions mal à l’aise et nous en voulions au boulanger de nous avoir envoyé cette petite gourde. Il nous fallait réfléchir à un autre mode de recrutement.
C’est Charles qui d’habitude ne disait rien qui proposa la bonne solution : pas de recrutement par les boulangers, adressez-vous aux assistantes sociales de la région. Elles vont vous demander des références. Si vous avez des nouvelles de Juliette demandez-lui si elle accepterait de témoigner de votre bonne foi et de l’honnêteté de vos procédés.
Nous recevions de temps en temps une carte postale de Juliette qui avait trouvé du travail dans le département voisin. Elle accepta de venir répondre aux questions de l’assistante sociale le moment venu.
J’ai contacté l’assistante sociale de Court Cheverny à qui nous avons exposé notre action. Ce fut à la fois facile et compliqué. Facile car nous avions le soutien de Charles respecté dans la région et notre travail de boulanger était reconnu. Compliqué car hors des structures officielles surchargées me permis-je de lui rappeler elle n’avait aucun pouvoir de décision sur l’accompagnement de jeunes femmes en détresse. Je me suis souvenu que dans la première partie de ma vie avec ma première épouse nous avions déjà recueilli une jeune fille à la demande de l’assistante sociale de l’époque. C’était du bénévolat pour de courtes durées. L’assistante sociale finit par convenir que c’était une solution mais avec des restrictions qui nous gênaient plus qu’un peu. Nous avons convenu de réfléchir et de se revoir après avoir fait venir Juliette que nous avons aussitôt contactée.
Elisabeth et Camille se sont mises d’accord pour que ce soient elles qui prennent les choses en main avec l’assistant sociale. Je me doutais bien que l’assistante sociale serait plus malléable entre les mains de nos deux femmes mais elles furent encore plus malines que je ne l’imaginais. Quand Juliette nous eu prévenus du jour de son arrivée elles ont invité l’assistante sociale à venir déjeuner avec nous ce qui faciliterait la discussion avec Juliette.
Et là Elisabeth et Camille ont sorti le grand jeu de femmes commercialement expérimentées : Visite des locaux organisés pour les jeunes femmes accueillies, visite du fournil puis apéritif avec le vin des vignes de Charles. Repas gastronomique servi par Ginette la cuisinière de Charles. Le piège imparable. Juliette fut parfaite et notre prestige atteignit des sommets dans la tête de Nicole. Elisabeth avait fini par faire dire son prénom à l’assistante sociale, qui sans façon se laissa faire.
Nicole est repartie en nous promettant de nous envoyer la première jeune femme en détresse qu’elle rencontrerait. Au moment d’ouvrir la portière de sa voiture elle s’est retournée prête à poser une question puis elle a abandonné et est montée dans son auto. Je suis certain qu’elle allait parler du copain de Juliette et nous demander si nous l’avions vu. Charles m’a posé sa main sur le bras et m’a dit : je pense la même chose que vous. J’aimerais que l’on discute un peu demain tous les deux.
Le lendemain après-midi Charles vint me voir à la fin de ma sieste alors que les femmes étaient occupées ailleurs.
-        Hyppolite écoutez-moi bien sans poser de question. Vous n’avez pas été surpris de me voir adhérer à votre projet alors que jusque là je n’avais été que le tonton bien aimé d’Elisabeth ?
-        Si, un peu mais j’ai mis cela sur le compte de votre altruisme.
-        C’est bien plus compliqué que vous croyez. Sachez que l’élimination du copain de Juliette que vous avez bien menée n’a pas échappé à l’œil de Ginette qui m’a tout raconté. Vous allez me demander pourquoi je suis resté muet sur cet acte hautement répréhensible.
-        Effectivement je ne comprends pas, bien que cela me soulage énormément.
-        Sachez que c’est le deuxième cadavre qui croupit dans la fosse septique. Au passage bravo pour la chaux vive, je n’y avais pas pensé. C’est moi qui l’y ai mis à la suite d’un conflit qui à priori ne vous regarde pas mais qui sur le fond procède d’une même philosophie. Je suis Franc-Maçon de la loge du Grand Orient de France et j’ai des principes qui y font référence. Lorsque le salopard que loge maintenant dans la fosse m’a demandé de témoigner dans le bon sens pour le disculper alors qu’il était accusé de viol sur sa nièce mon sang n’a fait qu’un tour et il a pris le club de golf que j’avais en main sur la tempe gauche et il est mort sur le coup comme le copain de Juliette. Nous nous entrainions au golf dans la pelouse derrière le manoir. Il n’y avait que quelques pas à faire pour éliminer le cadavre de ce salaud. Vous comprenez maintenant pourquoi votre projet m’a séduit et pourquoi je vous aidé financièrement autant que je l’ai pu. Ne me remerciez pas, en faisant venir Camille vous m’avez largement récompensé et j’ai maintenant une épouse adorable avec laquelle je partage beaucoup de choses.
-        Merci Charles pour m’avoir confié les raisons et les conséquences de ce drame. Je me sens moins seul car depuis la fin misérable de l’ex copain de Juliette j’étais sur les nerfs car je ne pouvais pas mettre Elisabeth dans le coup. Ça me rongeait lentement. Nous serons deux maintenant à mettre au point la bonne stratégie lorsqu’un nouveau cas se produise.
Les semaines ont passé sans nouvelles de l’assistante sociale. Elisabeth a lancé un midi l’idée d’utiliser les trois logements vides comme gites à la journée ou au mois. La discussion n’a pas duré longtemps, nous avons à l’unanimité choisi la location au mois. Ginette qui se joignait de plus en plus souvent à nous de la manière la plus naturelle lança l’idée d’ouvrir un petit restaurant uniquement pour les locataires des gites. Idée adoptée à l’unanimité et dans l’enthousiasme. Un vent léger de bonne humeur flottait dans l’air. C’est ainsi que l’histoire de deux crimes impunis se termina.

[1] Qui a le droit à la prestation compensatoire ?
L'époux qui s'estime désavantagé du fait du divorce doit formuler une demande de prestation compensatoire. La demande doit impérativement intervenir au cours de la procédure de divorce. Une fois le divorce devenu définitif, il n'est plus possible de demander une prestation compensatoire.

16 mars 2024 une petite souris diabolique

       Il y a maintenant quelques années j’allais tous les matins d’hiver nourrir les oiseaux de mon jardin : des mésanges bien entendu mais aussi des moineaux communs. Deux pies voisines en profitaient pour voler quelques graines de tournesol. Dans mon atelier j’avais installé mes bacs de boules de graisse et de tournesol sur une planche et deux tréteaux. Un matin j’ai trouvé une souris qui avait pu soulever le couvercle du bac à boules de graisse et qui se régalait sans vergogne. Bien entendu dès que j’ai soulevé le couvercle elle a sauté et s’est enfuie à la vitesse de l’éclair. Le lendemain après avoir fait la tournée des oiseaux j’ai laissé une poignée de graines de tournesol sur un carton qui traînait tout à côté des tréteaux. Cela a duré quelques jours sans changement. Chaque matin les graines de tournesol avaient disparu. Pour quelle raison ai-je pensé à lui mettre aussi un peu d’eau dans un couvercle de boîte de café en poudre qui me servait à ranger des vis ? Allez savoir. Mais j’ai pensé un matin que le régime tournesol devait être un peu monotone. J’ai ajouté un morceau de boule de graisse : j’avais pensé juste, le lendemain le morceau avait disparu et l’eau de l’abreuvoir improvisé également.
               J’ai raconté tout ça à mon épouse qui s’est contentée de hausser les épaules. J’ai bien compris son message : je devenais gâteux. Et alors ?
               Un peu plus tard, alors que d’habitude je ne voyais jamais la souris, je l’ai trouvée assise sur le carton repas et qui me regardait d’un œil tranquille. J’ai sursauté, respiré un bon coup et j’ai fait comme si je ne l’avais pas vue et j’ai fait mon travail habituel qui s’est terminé par la dépose d’un morceau de boule de graisse et d’une poignée de tournesol. La souris n’avait pas bougé. Elle a levé la tête et m’a dit : « Monsieur Hippolyte vous n’auriez pas un bout de fromage pour changer ? » Là je me suis dit que ma femme avait raison : je devenais gâteux. Mon imagination me jouait des tours et c’est mon cerveau qui avait imaginé cette question. C’est à cet instant que tout a dérapé.
               Tout naturellement j’ai répondu « bien sur mais quel fromage tu veux ? »
               « Du camembert s’il te plait »
Oui, c’est vrai j’ai toujours eu beaucoup d’imagination et j’ai toujours eu peur de raconter les histoires qui me passaient dans la tête. Mais dans ce cas précis, une chose était bien réelle : la souris se tenait debout sur le carton repas. Et elle me demandait du fromage. Je suis souvenu alors que quelques jours auparavant j’avais consulté une encyclopédie en ligne qui disait que le fromage n’était pas bon pour les souris.
« Juste un petit bout et ne m’en demande pas souvent »
« d’accord » me répondit-elle.
Le lendemain je lui ai apporté un tout petit bout de croûte de fromage.
« Merci Hippolyte »
« Que fais-tu de tes journées ? et comment t’appelles-tu ?
« Je m’appelle Bianca et je m’ennuie, toute seule dans ton atelier »
« Et pourquoi ne sors-tu pas, il y a de la place pour passer sous la porte et aller faire un tour dehors »
« Oublies-tu Hippolyte que dehors il y a des chats. Tu en as six je crois »
« Non je n’en ai plus que cinq le sixième, Rocky est mort »
« Rocky c’était le rouquin ? »
« Exact, comment le sais-tu ?
« Il a failli m’avoir un jour et je suis bien contente qu’il soit mort »
« Et bien moi je le regrette, c’était mon chat préféré et nous étions très copains tous les deux »
« Bien mais tes amours avec les chats ne m’intéressent pas. Je voudrais sortir un peu et aller chercher un mari. Tu es marié toi ?  Et pour trouver ta femme il a bien fallu que tu sortes pour la trouver »
« C’est pas faux mais je ne vois pas de solution à ton problème »
« Et bien trouves-en une, car je ne suis pas patiente et quand je suis fâchée je deviens mauvaise comme une teigne »
Et là je suis resté sans voix avec un frisson désagréable dans le dos. Je suis parti en me demandant comment Bianca pouvait me punir de ne pas l’aider à trouver un mari. Je n’allais tout de même pas enfermer mes chats toute la journée et toute la nuit. L’hiver passe encore ils couchent à la maison mais l’été ils passent souvent la nuit dehors. Quelle idée j’ai eue de donner à manger à cette péronnelle agressive. Et qu’est-ce qu’elle peut bien faire petite comme elle est ? Oui mais si elle a eu la possibilité de me transmettre ses demandes et ses pensées elle doit avoir des pouvoirs extraordinaires ? Je suis rentré à la maison plutôt grognon ce qui n’a pas surpris mon épouse car c’est le principal trait de mon caractère ; je suis souvent grognon pour des raisons futiles. Mais là il n’était pas question d’affaire futile. Ma première idée fut de laisser dorénavant la porte de l’atelier ouverte de jour comme de nuit. Mon chat Victor le meilleur chasseur de la bande résoudrait mon problème dans un délai assez bref. Plus de souris, plus de menace. Mais Bianca n’était pas une souris domestique ordinaire. Ne serait-ce pas mon chat Victor qui serait la victime d’une action tordue de la teigne Bianca ? Allez savoir. J’ai abandonné ce projet qui ne me plaisait pas trop.
               Le lendemain après le nourrissage des oiseaux j’ai retrouvé la Bianca à sa place habituelle avec un regard qui ne m’a pas trop plu.
               « Alors monsieur Hippolyte on a trouvé une solution pour me procurer un mari ? »
               « Il y a bien un moyen : dans le mur à côté de l’escalier il y a un trou qui permet d’aller dans la grange. Le sol de la grange est en terre battue et il y a plein de planches accotées aux murs pour se cacher et percer une trouée permettant d’aller dehors ce que tu ne peux pas faire ici car le sol est en béton. Qu’en penses-tu ? »
               « Ouais, je vais y réfléchir. Mais dis donc, ce ne serait pas un moyen tordu pour m’envoyer dans le domaine de tes chats pour te débarrasser de moi la conscience tranquille ? »
               Je dois reconnaitre que cette éventualité ne m’avait pas échappé.
               « Tu vois que tu y pensais sale hypocrite »
               « Désolé Bianca mais je n’ai pas d’autre solution. Je ne vais quand même pas passer une annonce dans le journal du genre : jeune souris gracieuse et cultivée cherche souris mâle en bonne santé pour relation amicale et plus si affinités.
               Bianca s’est finale rendue à mon argument et le jours suivants je ne l’ai vue qu’un jour sur deux affamée et silencieuse.
               Comme c’était prévisible elle a trouvé le mari idéal et un matin il y avait deux convives à la table du déjeuner.
               « Je te présente Arsène mon mari, comment le trouves-tu ? »
               « Déjà il n’est pas bavard ce qui me le rend sympathique mais un peu maigrichon »
               « Hippolyte il ne tient qu’à toi de le remplumer. »
               « Vous allez finir par me coûter cher en frais de bouche les tourtereaux ?
               « Ca c’est ton problème Hippolyte et penses bien aux conséquences car n’oublie pas je suis une souris vindicative et j’ai des moyens de te réduire en esclave obéissant si j’en éprouve le besoin. »
               Et mon esclavage a commencé ; deux souris puis 8 souriceaux sont venus chaque matin réclamer leur pitance. Je ne savais plus comment expliquer à ma femme ou passaient les bouts de fromage, les quignons de pain rassis et les demi-tranches de jambon qui sommeillaient dans le frigo.
               J’ai cru pouvoir prendre un peu de repos le jour où mon épouse a décidé de passer le week-end au Mans pour voir ses sœurs. Le samedi matin je ne suis pas allé dans l’atelier. Dimanche matin pris de remord j’y suis allé mais j’ai trébuché sur un manche à balai arrivé là sans raison valable. Ma canne m’a échappé des mains et je me suis écroulé sur le béton à moitié assommé. Je me souviens avoir entendu Bianca crier : « Les enfants à table, il y a de la viande fraîche au menu »

15 juin 2023 J'ai deux métiers

Quand on habite une petite ville de la France profonde les distractions sont rares mais pas introuvables, il suffit de chercher. Quand des amis ou des membres de la famille viennent passer un week-end à la maison il faut nous seulement les nourrir et les coucher mais il faut aussi les distraire. J’ai fini, au fil des années, par constituer un petit catalogue des distractions possibles. Il y a le plan d’eau ou la baignade est autorisée mais tout le monde n’aime pas l’eau. Alors je les emmène au musée du jouet. Succès garanti pour les plus anciens car les jeunes trouvent ça plutôt ringard. Les vieux sont heureux de retrouver leurs souvenirs d’enfance. Pour ceux qui aiment les ruines je les emmène à la tour du Bonvouloir. Succès mitigé et plaisanteries graveleuses incontournables. La chapelle de Saint Antoine a ses amateurs de vieilles légendes. Il ya avait jadis un musée des pompiers mais il a déménagé. Je ne parle jamais du casino, trop source de conflit entre le mari qui veut y faire un tour et l’épouse qui tient les finances du ménage. Il ne faut pas non plus emmener les invités trop loin. Ils ne sont pas venus à la campagne pour passer des heures en voiture. Il y a quelques années j’ai découvert le petit musée d’un taxidermiste assez intéressant pour les jeunes comme pour les vieux. Il m’arrive parfois de m’y arrêter, sans objectif précis, juste pour papoter avec le taxidermiste, un homme aussi charmant que bavard. Il me parle des difficultés de son métier : de moins en moins de gens sont intéressés par les animaux naturalisés sauf les chasseurs qui sont des clients fidèles. Le travail qui le fait vivre consiste à naturaliser le chien d’une vieille dame qui se désole de la perte de son animal adoré. Bien entendu il travaille aussi pour le musée d’histoire naturelle et quelques amateurs étrangers. Quand je l’invite à me parler du concours international qui rassemble les taxidermistes du monde entier il détourne la conversation. Je suppose qu’il a du échouer à un concours.
Mes invités sont toujours surpris de voir monsieur Bayard m’accueillir avec un grand sourire et une poigne de main vigoureuse. Il explique son travail avec enthousiasme et parfois il arrive à vendre à un de mes invités un pigeon ou une fouine naturalisée.
Mon métier d’informaticien m’amène à travailler pour des entreprises assez variées. J’ai écrit beaucoup de programmes de comptabilité pour des entreprises ou des experts-comptables. Depuis deux ans je travaille sur une chaîne de programmes pour les entreprises de pompes funèbres et j’ai commencé à parcourir la France pour installer mes programmes. Les gens qui travaillent dans ce secteur sont toujours ravis de rencontrer quelqu’un qui leur parle d’autre chose que de la perte d’un être cher. Ils ne sont pas avares d’anecdotes plus ou moins scabreuses. Il y a un événement incontournables dans cette profession c’est le salon du funéraire Paris qui a lieu tous les ans au Parc des Expositions Paris Nord Villepinte. On y rencontre aussi bien des fabricants de cercueil que de fourgons funéraires climatisés. Je me souviendrais toujours d’avoir vu l’an dernier un couple d’amoureux tendrement enlacés en admiration devant un cercueil énorme, décoré comme une église mexicaine. Ils étaient attendrissants.
Au détour de l’allée des urnes funéraires je suis tombé sur mon taxidermiste, monsieur Bayard. Je ne pouvais pas me tromper de personne. Monsieur Bayard est facilement identifiable. Plutôt petit, malingre bien que solide et avec une chevelure extraordinaire. De longs cheveux gris éparses, comme prêts à tomber au moindre courant d’air. Il m’a semblé surpris de me trouver là, comme moi d’ailleurs. Je lui ai expliqué pourquoi j’étais sur ce salon et sa méfiance initiale a disparu. Je l’ai invité à boire un verre à la buvette et à son tour il m’a dit ce qu’il faisait dans ce salon spécialisé. En plus de son métier de taxidermiste il était thanatopracteur ce qui lui permettait d’arrondir ses fins de mois en conciliant des activités identiques. Au fil de ses explications j’ai compris pourquoi son local de taxidermiste n’était ouvert au public que le dimanche. Les autres jours il se partageait entre ses deux activités.
Nous nous somme séparés bons amis et j’ai continué à distribuer la plaquette de notre société concernant le logiciel des pompes funèbres.
Comme à chaque fois j’ai mis du temps à sortir des encombrements parisiens et je suis rentré fatigué dans ma campagne. Pendant la route j’ai beaucoup pensé à monsieur Bayard et je ne pouvais m’empêcher de rire silencieusement en revoyant ce curieux personnage.
Les semaines sont passée et j’ai un peu oublié monsieur Bayard jusqu’au dimanche où je suis allé à la brocante qui a lieu tous les ans dans son village. En passant devant son magasin dont la vitrine était ornée d’un énorme ours blanc je me suis dit qu’en partant je m’arrêterais chez lui.
Je n’ai rien trouvé d’intéressant à la brocante et je suis reparti sans oublier de m’arrêter chez Monsieur Bayard. La porte était ouverte mais il n’y avait personne dans la pièce. J’ai attendu un peu en faisant le tour des vitrines. Personne ne venant j’ai ouvert la porte qui se trouvait au fond du local pensant trouver monsieur Bayard trop occupé pour penser aux visiteurs. Il n’y avait personne là non plus. J’étais donc dans la partie atelier du taxidermiste. L’odeur du formol était prégnante et je me sentais vaguement mal à l’aise. Une autre porte s’est ouverte et j’ai vu arriver avec soulagement monsieur Bayard qui bien entendu était surpris de me trouver là. Je me suis excusé mais je sentais bien que ma présence le dérangeait. J’ai voulu partir mais après un court silence il m’a dit : Nous nous connaissons bien maintenant et vous êtes le seul à qui je peux montrer mon chef d’œuvre sur lequel je travaille depuis des années. Puis-je compter sur votre discrétion ? ».  Je l’ai aussitôt rassuré mais il est resté encore un moment à réfléchir comme hésitant encore à aller jusqu’au bout de son premier geste. Il m’a pris par le bras en disant : « Venez voir ».
J’ai vu : trois beaux spécimens de l’espèce humaine étaient exposés dans une vitrine. Vraiment très beaux, comme vivants.
 

25 septembre 2022 Une journée ordinaire

Mercredi dernier restera longtemps dans ma mémoire peut-être parce qu’elle était parfaitement ordinaire, quoique.

Elle avait commencé à 5h30 comme les autres jours. Martine s’était occupée du déjeuner des chats et moi j’avais préparé notre petit déjeuner. Pas de parole inutile. La seule chatte, Coquine, qui avait dormi dans la maison attendait sagement son assiette.
Quand tout fut prêt Martine a d’abord déposé les assiettes pleines à leur place habituelle devant la bibliothèque sauf celle de Julius qui prend tous ses repas sur le buffet dans la cuisine, puis elle est allée ouvrir la porte d’entrée et j’ai ouvert la porte de la véranda par laquelle est entré Julius. Les autres, c'est-à-dire Victor, Rocky, Oscar et Zoé sont entrés par la porte principale. Chacun a trouvé son assiette sans contestation. Comme nous laissons l’été la porte ouverte les chats mangent et ressortent à leur guise. Nous déjeunons sans beaucoup de bavardage.
Je passe sur l’aspect rangement, vaisselle et autres activités ménagères que nous nous partageons.
Ce mercredi là j’avas rendez-vous avec mon médecin à 10 heures. Cela implique une douche méticuleuse et du linge propre ce qui fut fait avec la fatigue habituelle qui résulte d’une activité physique aux limites de mes possibilités. Un peu de repos devant l’ordinateur et le jeu habituel pour retrouver un souffle normal. Pour passer le temps j’ai mis sur mon tourne disque un vieux vinyle de 78 tours : la petite église de Jean Lumière

Notre médecin exerce à Rânes, une petite ville à 25 km environ. Pourquoi si loin ? Parce que en 2010 mon médecin de Couterne a pris sa retraite et que les quelques médecins des communes proches ne prenaient plus de clients. J’ai donc choisi le même médecin que celui de Martine qui avait connu ce problème là quelques années plus tôt.
Comme souvent nous sommes partis trop tôt et nous sommes arrivés à 9h40. Depuis la pandémie du Covid19 nous attendons dans la voiture après avoir vérifié auprès des autres personnes qui attendent aussi qui allaient passer avant moi. Cela se passe sans histoire.
Pour passer le temps nous lisons soit la revue habituelle de Martine soit le catalogue Lidl qui traîne sur le siège arrière.
En feuilletant ce catalogue j’ai découvert que la saison « produits Italiamo » commençait ce jour.
Et bonne surprise le jambon sec qui avait fait nos délices quelques mois auparavant était de nouveau présent. Autre bonne surprise j’ai découvert que Lidl proposait aussi le vin italien qui avait enchanté mon séjour en Italie ou j’étais allé comme moniteur de colonie de vacance il y a plus de 60 ans: le Chianti. Jeune normand je ne connaissais que le cidre et le vin ordinaire. Le Chianti par sa légèreté et son perlant devint un vin magique. Je n’avais guère les moyens d’en boire souvent mais c’est ce vin que je buvais quand les jours de repos j’allais me balader dans la petite montagne près de Bergame. Je pourrais m’étendre longuement sur mes souvenirs de ces deux mois passés en Italie. Ce sera l’objet d’une autre page de souvenirs.
La visite chez mon médecin se passa normalement. Comme d’habitude je suis sujet au symptôme de la « blouse blanche » ma tension était trop élevée mais diminuait sensiblement au fil des minutes. Contrairement à mes craintes mon cœur sembla fonctionner correctement aux yeux de mon médecin. Ce qui était une bonne nouvelle. Mauvaise nouvelle : il m’apprit qu’il avait demandé sa mise à la retraite qui devrait arriver au début de l’an prochain. Comme aucun nouveau médecin s’était installé autour de chez nous notre suivi médical allait être un peu léger.
Nous sommes rentrés et bien entendu nous nous sommes arrêtés chez Lidl pour acheter ce jambon délicieux et une bouteille de Chianti.
De retour à la maison nous avons répondu aux besoins de nos six chats qui nous avaient attendus sans impatience et puis nous avons commencé à parler de notre repas. Le plat de nouilles à la sauce tomate initialement prévu fut vite éliminé et j’ai proposé que nous fassions un repas pique-nique avec une salade, le jambon, du beurre, du fromage et du pain. J’ai débouché ma bouteille de Chianti. J’ai retrouvé un peu du goût dont j’avais gardé le souvenir mais le perlant avait disparu. Nous étions ravis tous les deux de ce repas improvisé. Nous étions comme revenus dans les Alpes et nous mangions sur une table de pique-nique en bois avec les choucas autour de nous quémandant quelques miettes. Nous avons évoqué ces vacances passées aux Saisies, les balades sous l’orage et la cueillette des myrtilles. J’ai raconté à Martine quelques souvenirs d’Italie et elle m’a parlé de la Grèce où elle était allée dans sa jeunesse.
Ce fut une belle journée dont je me souviendrais longtemps.

18 avril 2022 Démesurées

J’ai longtemps gardé cette histoire dans ma mémoire sans oser en parler à qui que ce soit car elle est trop invraisemblable. Masi il est temps de révéler cette aventure, prélude à d’autres mystères.
J’étais parti voir ma fille comme je le faisais deux fois par an. Le voyage est assez long car elle habite à l’autre bout de la France, vers la frontière suisse. Les premiers kilomètres sont avalés sans fatigue. Mais à partir de Troyes il est préférable de prendre l’autoroute à la fois pour gagner du temps et savourer une conduite plus dolente. Lors d’un voyage qui dure près de huit heures il faut de temps en temps s’arrêter pour se détendre et soulager un besoin naturel. Pendant ma vie active j’ai beaucoup circulé en voiture et je connais bien les aires de repos. Il y en a de toutes sortes, des modestes, des grandioses ou des ridicules. Ce jour là le temps d’automne était au beau. Le ciel s’était débarrassé de son manteau de nuages et le vent s’était fait discret. Un temps parfait pour rouler détendu. La sortie d’autoroute sur laquelle je me suis engagé était comme à moitié obstruée par des barrières en désordre, comme bousculées par une harde de sangliers. Je pouvais néanmoins passer sans difficulté et aucun panneau ne m’interdisait l’accès. J’ai imaginé une barrière posée là pour protéger des travaux négligemment suspendus. Au bout de cette bretelle le parking habituel de ce genre d’endroit et à l’autre extrémité le bâtiment attendu. Le parking était vide et les emplacements de stationnement dessinés sans aucune rigueur. Ils n’étaient pas tous de la même largeur et les traits de peinture blanche n’étaient pas très parallèles. Je me suis garé dans un emplacement éloigné du bâtiment afin de pouvoir marcher un peu et prendre le temps d’analyser le malaise que je ressentais.
L’aspect de l’édifice était déroutant. Habituellement ce genre d’endroit présente une architecture qui se veut originale mais qui se révèle bien souvent assez banale. Là au contraire j’avais en face de moi une tour carrée, d’une hauteur inhabituelle trahissant comme un besoin de grandiose de l’architecte. Le sommet n’était pas crénelé heureusement. Le toit devait être plat, gravillonné certainement.
La porte donnant accès aux toilettes était également de taille inhabituelle, exagérée même. La poignée de la serrure se situait assez haut, presque inaccessible. J’étais de plus en plus impressionné. J’ai ouvert cette porte sans effort, ce qui m’a surpris.
Ma surprise fut encore plus grande quand j’ai vu ce qui m’attendait. Une faïence à la turque comme je n’en avais plus vu depuis mon service militaire mais de proportions énormes : un trou de peut-être cinquante centimètres avec des emplacements pour poser ses pieds de taille propre à accueillir des palmes de plongée sous-marine.  Au mur un réservoir de chasse d’eau antique mais tout aussi disproportionné. Je ne savais quoi faire. Mon regard allait d’un mur à l’autre et des images incroyables me venaient à l’esprit : géants, extra-terrestres,  et je m’apprêtais à fuir cet endroit effrayant par ses proportions quand une ombre m’a indiqué une présence derrière moi.
Je me suis retourné, les nerfs tendus, satisfait de ne pas avoir  encore baissé mon pantalon. Un homme ou quelque chose d’approchant, de taille impressionnante me dominait et me regardait avec un sourire mécanique. Il se tenait les jambes écartées, bien ancrées au sol, et manifestement décidé à m’empêcher de sortir. Son aspect était déroutant, un peu comme une marionnette  faite à la va-vite : cuisses trop courtes et maigres, bras musclés avec excès et torses cylindrique sous un vêtement gris légèrement brillant. J’entendais derrière mois le trou des toilettes glouglouter bizarrement et mon gardien, je ne trouvais pas d’autre mot pour le décrire, ne disait rien  mais son attitude signifiait bien que je ne sortirai pas indemne du piège dans lequel je m’étais laissé enfermé. Il a levé un bras pour me pousser ce qui a déclenché en moi le bon réflexe. Je me suis alors jeté entre ses jambes, j’ai roulé à l’extérieur comme on m’avait appris lors de mon stage de parachutiste et j’ai couru vers mon auto.
J’ai eu bien du mal à tourner la clé de contact, mes mains gagnées par un tremblement irrépressible.
La voie de sortie contournait le bâtiment maudit et passait auprès d’une aire ronde, à la surface métallique, du moins à ce qu’il m’a semblé. De retour sur l’autoroute j’ai mis du temps à retrouver mon calme et mon envie pressante était oubliée, du moins pour un certain temps.
Depuis ce jour je cherche à comprendre ce que j’ai vu jusqu’à ce que je puisse visualiser à nouveau le spectacle que j’avais eu sous les yeux. Tout d’abord j’ai réalisé que les empreintes de chaque côté du trou n’avaient pas la forme habituelle, celle où l’on pose ses pieds. On dirait plutôt l’empreinte d’une  main et j’ai visualisé à nouveau le tuyau de la chasse d’eau. Il faisait un coude et à l’extrémité se trouvait une pièce dont la forme me rappelait celle d’une tétine de biberon. J’en suis maintenant sur : ce n’étaient pas des toilettes mais une mangeoire.

25 mai 2021 le prix de l'entrecôte

Pièce en un acte
Édouard : Majordome
Louis-Joseph de Quatremare : Président
 
- Monsieur le Président, vous à l’office ?
- Et bien Édouard, quel est le problème ? J’ai bien le droit de venir dans ma cuisine ?
- Effectivement Monsieur, mais c’est la première fois depuis 15 ans que je suis à votre service. Quelque chose de grave peut-être ? Un drame familial ?
- Non Édouard Je viens simplement vérifier si vous êtes allé acheter l’entrecôte que je vous ai demandée pour ce midi.
- J’arrive tout juste Monsieur. Elle est là, devant vous sur la table avec la note du boucher.
- Quoi ? 15 euros une entrecôte ? Mais c’est du vol !! Pour ce prix j'espère qu'elle sera bonne !
- Je ferais remarquer à Monsieur qu’elle vient de chez Vincent le boucher du coin de la rue Mignard. Tout le XVIème se fournit chez lui. D’ailleurs Germaine notre concierge pour qui j’en ai acheté une dit comme vous : « c’est cher mais c’est de la bonne viande chez Vincent. » Enfin pas tout à fait comme vous. Car vous dites : « c’est peut-être bon mais c’est cher. » alors que Germaine pense que la qualité justifie le prix : « c’est cher mais c’est bon. » Vous voyez la nuance ?
- Vous ergotez Édouard. Je ne suis pas venu vous voir pour prendre une leçon de sémantique. Vous avez la note de l’épicier aussi ?
- Oui Monsieur, la voici.
Quoi ? 5257,25 euros ?
- C’est pour le mois dernier Monsieur
- Mais c’est énorme !
- Effectivement Monsieur, à peu près quatre fois le salaire mensuel de madame Germaine, salaire de ce mois qu’elle attend d’ailleurs.
- D’accord, d’accord, nous verrons cela plus tard.
- Je me permets d’insister, Monsieur, car l’épicier m’a demandé de vous dire : à moins de régler cette note, il ne nous fera plus crédit.
- Édouard, vous commencez à me porter sur les nerfs en m’accablant que questions que vous avez toujours su  régler sans m’importuner. Savez-vous que si vous persistez je pourrais changer de majordome. Il y a d’autres majordomes stylés et moins chers sur la place.
- Monsieur a tout a fait raison. Mais un vrai bon majordome c’est cher et exigeant aujourd’hui. C’est comme l’entrecôte, quand c’est bon c’est cher.
- Encore l’entrecôte ? Mais vous en faites une idée fixe ?
- Non, non Monsieur, c’est simplement pour vous montrer que la valeur des choses dépend du niveau social et culturel de celui qui en discute.
- Et ça veut dire quoi votre charabia ?
- C’est très simple à comprendre Monsieur : Je prends un exemple : Madame Germaine attend son salaire du mois dernier depuis 15 jours et sait se montrer patiente. En outre elle trouve qu’une bonne entrecôte est forcément chère et vous..
- Quoi et moi ?
-Vous, vous trouvez l’entrecôte trop chère et vous n’avez aucune honte à différer le paiement du salaire de madame Germaine.
- Je ne suis pas venu ici pour me faire donner des leçons de morale !
- Je me permets de rappeler à Monsieur qu’à l’office la parole est libre. Depuis des générations de gens de maison l’office est le seul lieu ou ils ont le droit de parler sans gêne des maîtres et les maîtres respectent ce droit. Si vous ne voulez ps que je parle comme je le fais, ne venez pas à l’office et sonnez moi pour me demander des explications dans votre espace. Vous êtes ici dans notre domaine et vous ne pouvez y parler en maître. Mais revenons au problème de madame Germaine et son salaire. Je voulais simplement expliquer qu’il y a une différence entre les gens de maison et ceux de la classe supérieure et que cette différence n’est pas à l’avantage de cette dernière.
- Je vous vois venir Édouard. Vous voulez me pousser à bout afin que je vous licencie pour pouvoir m’extorquer de l’argent devant les Prud’hommes au prétexte d’un licenciement sans motif valable.
- Non Monsieur, loin de moi ce plan machiavélique. Je suis bien chez vous, le salaire est ridicule mais les à-côtés compensent largement.
- Quels à-côtés ?
- Ce que je gagne en bourse grâce à vous.
- Vous jouez en bourse Édouard, sur mon dos ? Mais vous méritez les Assises mon garçon !
- Je me suis mal exprimé Monsieur. J’ai commencé à jouer en bourse il y a 10 ans quand vous avez fait installer dans l’immeuble une ligne internet avec une box wifi. Au début j’ai fait les mêmes choix de vente ou d’achat, que vous, pour apprendre. Mais j’ai perdu beaucoup d’argent et un jour j’ai joué en faisant les choix inverses des vôtres. A partir de ce moment là j’ai gagné, de l’argent, beaucoup d’argent. Et j’ai fait de bons placements en obligations sûres ce qui fait qu’aujourd’hui, je suis riche alors que vous êtes ruiné.
- Comment ça, vous savez que je suis ruiné ?
- Tout simplement parce que j’ai acheté les actions de vos sociétés au fur et à mesure que vous les vendiez pour trouver du cash et mener votre vie dissolue. Il ne me manque plus que d’acquérir la majorité dans « Enjoy-boys » que vous détenez encore.
- Et pourquoi je vous vendrais ces actions ?
- Parce que je les veux et que je suis le seul à vous en offrir un bon prix. Actuellement elles cotent 10 euros alors qu’il y a 2 ans elles en cotaient 20.
- Et vous m’en offrez combien ?
- Je vous en offre 15
- Non, 17
- C’est 15 et pas un euro de plus
- D’accord. Vous pouvez me prêter 10000 euros ?
- Pas de problème Monsieur le président. Je vous les apporterai au moment du repas, avec l’entrecôte.
- N’exagérez pas Édouard
- Qu’allez-vous devenir maintenant ?
- Je vais cherche un emploi dans mes compétences.
-J’ai bien une offre à vous faire. Nous nous connaissons bien maintenant. J’ai acheté le petit hôtel particulier dans le Marais , tout près d’ici et je cherche un majordome, cela vous tente ?